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MOHAMMED-ALI-PACHA.

comme un ressort souple et facile, aux passions de cet homme apparu d’hier et déjà devenu une puissance.

Dès à présent, s’il la veut, la vice-royauté est à lui. Personne n’est là pour la lui disputer. Mais ira-t-il exposer sa fortune naissante à la double inimitié des Mameluks acharnés à sa perte, et du grand-seigneur qu’il a outragé dans la personne de ses lieutenans ? Plus clairvoyant, il rend le pachalik à un délégué de la Porte, à ce Mohammed-Kousrouf, qu’il a fait prisonnier, voulant, par cette soumission apparente, retarder la vengeance du sultan, présenter aux coups des Mameluks un prédécesseur qui lasse leurs attaques, et se faire ainsi pour l’avenir la vice-royauté moins glissante.

Toutefois cette autorité, qu’il lui aurait été facile de garder pour lui-même, il n’a point encore le pouvoir d’en revêtir un autre. Son choix ne réunit pas les suffrages des chefs de troupes et des cheyks, et leur assemblée qui confère au gouverneur d’Alexandrie, Kourchid-Pacha, le dangereux honneur de commander au Kaire et à l’Égypte, dédommage Mohammed-Ali de cet échec, en le nommant caïmacan, ou lieutenant du visir.

Cette double élection ratifiée par un firman impérial, et les hostilités contre les beys, qui reprenaient leur cours, lui fournirent bientôt de nouvelles occasions d’affaiblir ceux qu’il devait déjà regarder comme ses ennemis personnels. Pendant que des agens secrets disposaient le divan en sa faveur, il harcelait, à la tête de l’armée turque, la cavalerie des Mameluks ; mais les intrigues qu’il entretenait à Constantinople, et l’activité qu’il déployait dans les opérations militaires, ne l’empêchaient point de s’immiscer en personne dans les affaires de la capitale de l’Égypte, protégeant les habitans contre la rapacité de la soldatesque, et se rendant nécessaire pour apaiser les séditions qu’il avait soulevées lui-même.

Ses menées le conduisirent en peu de temps au résultat qu’il en attendait. Les cheyks, ou chefs de la religion, dont l’Égypte, au milieu de ses calamités, voyait parfois surgir l’intervention comme une ombre de représentation nationale, fatigués d’un gouverneur qui, outre ses torts réels, avait encore à leurs yeux ceux que lui prêtait sourdement un rival, proclamèrent sa déchéance, et le remplacèrent par son caïmacan. Mohammed-Ali cette fois jugea le moment opportun ; il accepta. Kourchid voulut résister, et se renferma dans la citadelle ; l’élu des cheyks vint l’y assiéger, et la place allait être enlevée d’assaut, quand un capidgi-bachi apporta la nomination de Mohammed-Ali au pachalik, où l’appelait, disait le firman d’inféodation, le vœu de l’Égypte. Et cela était vrai, car on ne connaissait de lui que le bien qu’il avait fait, ou du moins le mal qu’il