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avait empêché, et le peuple, et les prêtres, et l’armée, avec cette unanimité d’acclamations, écho de la voix de Dieu, tous applaudissaient à ce choix, excepté le sultan lui-même, qui feignait de condescendre à l’opinion publique, quand il ne faisait que céder à une nécessité impérieuse.

Ici se présente une remarquable coïncidence. Cette même année 1803, où l’Égypte tombait aux mains de Mohammed-Ali, Czerni-George battait les Turks, à la tête de la révolte des Serviens, qui alluma plus tard l’insurrection de toute la Grèce : et ainsi s’accomplissaient en même temps deux événemens qui devaient aboutir à détacher de la Turquie ses deux plus importantes provinces.

Le voilà maître enfin de ce pachalik, si long-temps disputé ! Parmi tant de rivaux, c’est lui, c’est Mohammed-Ali, qui l’a le plus ardemment convoité, qui a le plus vaillamment combattu, qui a pratiqué les menées les plus habiles, et le plus compromis sa fortune et sa tête. — À lui l’Égypte ! Mais cette possession, si chèrement achetée, qu’a-t-elle donc de si digne d’envie, et qui vaille tant et de si grands sacrifiées ? Au dedans, un peuple accablé d’impôts à contenir, une armée pillarde et indisciplinée à réduire à l’obéissance, une guerre de complots et une lutte ouverte à soutenir contre les Mameluks : au dehors la politique à la fois jalouse et débile du divan qui le laissera écraser s’il est vaincu, et le frappera dans l’ombre s’il triomphe ; de tous côtés, d’incessantes attaques et des haines à mort : voilà ce que sa position lui présente, et ce que d’avance il a vu lui-même. N’importe, rien ne l’arrêtera ; il a un but et le moyen d’y parvenir : — pour but, la régénération de l’Égypte ; pour moyen, une inébranlable volonté. Ces deux terribles ennemis qui le menacent, la Porte et le corps des Mameluks, trop faible encore pour leur résister seul, il armera contre eux cette race arabe, qui ne comptait jusqu’ici que dans les calculs du fisc, et le sultan l’aidera d’abord à ébranler la puissance des beys. Les endormir par des trêves, et envenimer leurs inimitiés réciproques ; tantôt les enlacer dans d’invisibles trames, tantôt les surprendre par de brusques attaques ; un jour les attirer, le lendemain les poursuivre ; lutter sans cesse avec eux de vigueur et de perfidie, telle sera la tactique qui enfin consommera leur ruine. Car lui aussi, comme Selim, a prononcé leur sentence. Obstacle déclaré à toutes les réformes exigées par la situation de l’Égypte, les Mameluks périront. Et cette Porte, qui déjà, aux yeux des enfans d’Ismaël, a perdu le prestige de sa grandeur, cette Porte sourde à leurs cris et à leurs prières, il lancera contre elle, comme un bélier vivant, les tribus altérées de vengeance, et il la fera trembler sur ses gonds, si même il ne la brise un jour, pour ouvrir pas-