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MOHAMMED-ALI-PACHA.

sage aux peuples dont il aura précipité l’essor. Ainsi, malgré les résistances, que son adresse doive les éluder ou sa force les vaincre, à tout prix il marchera, et il entraînera l’Égypte après lui. Il le veut, — de la volonté d’un homme qui sent en lui tout un monde tressaillir, s’agiter pour une transformation sociale, et se préparer à une vie nouvelle ; il le veut. — À lui l’Égypte !

Mais avant de rien fonder, il est nécessaire qu’il déblaie son terrain de tous les empêchemens qui l’encombrent ; avant d’ensemencer son champ, il doit le purger de toutes les plantes parasites et délétères. C’est d’abord aux Mameluks qu’il s’attaque. Il leur fait écrire qu’une partie des troupes turques les attendent au Kaire pour se révolter, et plusieurs beys, accourant se jeter dans le piége, y trouvent la mort qu’ils apportaient à leur ennemi. Puis ce sont ses propres soldats qu’il se voit contraint de décimer, en faisant lui-même la police de sa capitale. Jour et nuit, sous le déguisement d’un simple cavas[1], il parcourt les rues, les cafés, les places publiques, livrant les pillards aux gardes qui le suivent de loin, et parfois punissant de sa main le flagrant délit. Bref, le peuple lui sait déjà gré de sa fermeté répressive : cette rigueur, qui témoigne de sa confiance en lui-même, lui fait plus de partisans qu’à ses prédécesseurs une coupable indulgence, et bientôt son pouvoir se trouve assis sur des bases si solides, que la Porte, dans sa défiance habituelle, juge le temps venu de l’en dépouiller. Elle rétablit par un firman l’autorité destructive des beys, et nomme un autre visir à la place de Mohammed-Ali ; mais lui, fort du dévouement des Albanais et de ses compatriotes, élude les ordres de sa hautesse, en feignant d’être retenu par les troupes. Vainement les Mameluks, et surtout Mohammed l’Elfy, le protégé de l’Angleterre, remportent sur son armée d’importans avantages ; la résistance de la ville de Damanhour, qui tient pour lui, neutralise les effets de leurs victoires isolées. La Porte, obligée de caresser celui qu’elle ne peut abattre, lui confère de nouveau le titre de vice-roi, et la mort simultanée des deux beys les plus redoutables, Osman-Bardissy et Mohammed-l’Elfy, lui tient lieu d’un succès décisif. Profitant alors de la consternation où cette double perte jette ses ennemis, il les attaque lui-même, les bat en plusieurs rencontres, et pour se soustraire plus long-temps à leur agression, les fait poursuivre dans le Sayd par les Bédouins qu’il a soudoyés.

Déjà nous l’avons vu insurger contre un bey le peuple du Kaire : maintenant c’est le désert qu’il soulève contre les Mameluks, et en associant ainsi les Arabes à ses victoires, il prépare la réhabilitation de leur race.

  1. Soldat turk.