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gnent aussi Racan. Voici qui le peint mieux encore ; c’est lui-même qui parle : « Racan et lui, dit-il, s’entretenaient un jour de leurs amours, c’est-à-dire du dessein qu’ils avaient de choisir quelque dame de mérite et de qualité, pour être le sujet de leurs vers. » C’est donc à dire, messieurs les poètes courtisans, que la poésie se prêtera comme une esclave à toutes les fantaisies étudiées de vos passions d’emprunt ; elle aura pour vous des chants d’ivresse et des cris de douleur, quand vous n’avez dans l’ame ni joie ni désespoir ; elle sera pour vous suppliante, jalouse, emportée, quand jalousie, remords, emportement, rien de tout cela n’est en vous ; allez, vous méritez bien que l’amour vous ait si mal inspirés l’un et l’autre. Je ne puis m’empêcher de me souvenir que l’année même où Malherbe arrivait à Paris, le don Quichotte s’imprimait à Madrid. Lisez la page où le héros se choisit sa maîtresse ; le ridicule est-il plus grand ?

Malherbe ne vit rien de plus illustre que madame de Rambouillet, et il la prit pour dame de ses pensées. Racan choisit la belle-sœur du duc de Bellegarde, madame de Thermes. Don Quichotte avait donné à sa dame le nom de Dulcinée ; nos deux poètes en cherchèrent un pour les leurs. L’une et l’autre se nommaient Catherine ; on passa toute une journée à tourmenter les syllabes de ce mot, pour en tirer des noms gracieux. Celui d’Arténice parut le plus galant, il revenait de droit à madame de Rambouillet. Malherbe se proposait d’immortaliser par une églogue son entretien avec Racan ; mais ce dernier le gagna de vitesse, et le premier, dans ses vers, il donna ce nom d’Arténice à madame de Thermes. La postérité s’est obstinée à le conserver à madame de Rambouillet. L’églogue de Malherbe ne nous est pas venue : celle de Racan se lit à la suite des Bergeries ; il y est parlé naïvement d’une bergère dont les appas


...... trop chastement gardés,
Par le seul Alcidor ont été possédés,
Celui de qui la mort si digne de la vie
Fit moins aux braves cœurs de pitié que d’envie.


Alcidor n’est autre que M. de Thermes qui venait de mourir. Racan s’échauffa si bien à célébrer les vertus de sa veuve, qu’il en