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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

constituée, la révolution s’étendit à cette majestueuse strophe de dix vers, création de Ronsard, qui vaut seule le nom qu’on lui a fait. Fallait-il établir un repos après le septième vers ? Malherbe dit oui, Racan dit non ; sa raison était que cette strophe ne se chante pas, et que, fût-elle chantée, elle ne le serait pas en trois reprises. Racan abusait ici de son petit talent à jouer du luth. L’usage a prononcé contre lui, et a donné gain de cause à l’église contre l’hérésie. La strophe, telle que Malherbe nous l’a léguée, rapide et solennelle tout ensemble, ajoute encore à la majesté de la pensée la plus haute et à l’essor de la plus fougueuse inspiration.

Je trouve ici, dans les œuvres de Racan, une ode bachique qui, par la fermeté du style, dénote le voisinage de Malherbe ; elle s’adresse au grave Maynard, et porte sa date dès les premiers vers.


Maintenant que du capricorne
Le temps mélancolique et morne
Tient au feu le monde assiégé,
Noyons notre ennui dans le verre,
Sans nous tourmenter de la guerre
Du tiers-état et du clergé.


Il y a là une allusion évidente à ces états généraux de 1614, qui s’annoncèrent avec tant de grandeur, et qui nous apparaissent aujourd’hui comme un prélude lointain de ceux de 1789. Racan avait alors vingt-cinq ans.

Mais quelque passion ne viendra-t-elle pas enfin éveiller cette verve heureuse qui s’avoue sa paresse à elle-même avec tant de grâce et de bonhomie. Un mot de Malherbe négligemment jeté dans une lettre nous apprend que son disciple avait inutilement soupiré en Bretagne ; mais cet amour n’a pas laissé trace distincte dans son livre. Racan, de sa nature, était plus galant qu’amoureux. Malherbe l’a bien jugé dans certaine lettre à Balzac : « Cette affaire (une affaire !) veut, dit-il, une sorte de soin dont sa nonchalance n’est pas capable ; s’il attaque une place, il y va d’une façon qui fait croire que, s’il l’avait prise, il en serait bien empêché. » Vous reconnaissez votre Malherbe à ces paroles ; elles pei-