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s’inquiétait encore, et non sans raison. L’armée d’Alexandre n’avait pris aucune part aux événemens militaires ; à peine avait-elle atteint l’Allemagne. Blücher et Wellington n’allaient-ils pas profiter de leurs succès pour décider seuls des destinées de la France ? M. Pozzo di Borgo appela un jeune officier russe employé dans l’armée prussienne : — Tuez des chevaux, lui dit le général, et que dans quarante-huit heures le czar soit instruit de la victoire ! Votre fortune est au bout de votre course. — Et le diplomate, quoique malade et blessé, se rendit à Paris sur les pas du duc de Wellington. Il avait repris ses fonctions d’ambassadeur près de Louis xviii, mais non plus avec les mêmes chances de crédit qu’en 1814. Comme il l’avait prévu, l’occupation de la capitale par les généraux anglais et prussien les y avait rendus tout puissans : le duc de Wellington avait à peu près fait lui-même le ministère Fouché-Talleyrand, et ces deux hommes politiques étaient tout dévoués de longue main à l’alliance anglaise. La Russie ne jouerait donc plus qu’un rôle secondaire ! L’arrivée de l’empereur Alexandre, à la tête de deux cent cinquante mille baïonnettes, changea bientôt cette situation des affaires.

M. de Talleyrand put s’en convaincre dès les préliminaires du traité de Paris. Le czar avait de profonds griefs contre l’ancien plénipotentiaire de Vienne, il ne voulut entendre parler d’aucune négociation conduite par ce premier ministre ; la médiation d’Alexandre était pourtant bien nécessaire à nos intérêts dans la discussion du traité de paix. L’Angleterre, la Prusse et l’Allemagne, montraient des exigences exorbitantes ; elles voulaient exploiter sans pitié leur victoire et nous dépouiller à l’envi. Les premières notes de lord Castlereagh réclamaient la cession d’une ligne de forteresses du côté de la Belgique, depuis Calais jusqu’à Maubeuge. Les Allemands et les Prussiens nous demandaient l’Alsace et une partie de la Lorraine. Qui pouvait nous défendre de ces avidités de vainqueurs armés, si ce n’était le czar ? M. de Talleyrand tenta de gagner son appui, en assurant à son ambassadeur une haute position politique en France. Il offrait à M. Pozzo di Borgo le ministère de l’intérieur, que la démission de Fouché avait laissé vacant, et il obtint pour lui de Louis xviii des lettres de pairie. Cette singulière combinaison échoua devant l’invincible aversion de l’empereur pour M. de Talleyrand. Alexandre persista à vouloir que les affaires étrangères fussent confiées à un homme de son choix, avec lequel il put traiter en toute confiance. Il indiqua le duc de Richelieu qu’il appelait le meilleur Français et le plus loyal des hommes. M. de Talleyrand dut céder. Il rendit le portefeuille à Louis xviii, qui chargea M. de Richelieu de composer un nouveau cabinet.