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DIPLOMATES EUROPÉENS.

Dès ce moment, l’influence russe reprit sa prépondérance dans toutes les affaires publiques. Le czar se porta médiateur dans toutes les négociations ; son intervention, quant aux questions territoriales, n’était désintéressée qu’à notre bénéfice. Il importait aux Russes que la France se maintint, au midi de l’Europe, puissante et homogène. Elle pouvait être pour eux, au besoin, un utile point d’appui. M. Pozzo di Borgo vit son action grandir avec celle de son maître, et cette action nous fut favorable et salutaire. Le traité de Paris, auquel il contribua efficacement, fut bien toujours la loi du plus fort, mais encore valut-il mieux que si l’Angleterre et la Prusse l’eussent dicté seules[1]. La France perdait quelques lignes sur la frontière ; elle était mise sous la haute surveillance d’une occupation militaire ; on lui prenait sept cents millions, mais enfin on ne se la partageait pas. Elle gardait la Lorraine et l’Alsace ; elle restait grande nation.

L’empereur Alexandre, en quittant Paris, laissa plein pouvoir à M. Pozzo di Borgo de seconder le gouvernement français dans ses véritables intérêts.

L’opinion royaliste avait bientôt abusé de la victoire que l’étranger lui avait faite. Elle avait taché de sang sa bannière blanche. La chambre de 1815 s’était ouvertement prononcée pour les vengeances judiciaires. La violence de son opposition rendait impossible tout ordre constitutionnel régulier. La réaction s’avançait chaque jour plus menaçante ; il lui fallait une digue. De concert avec M. Decazes et le duc de Richelieu, M. Pozzo di Borgo prépara l’ordonnance du 5 septembre. Il l’appuya lui-même auprès de Louis xviii. La chambre ardente fut brisée, la restauration ramenée dans la voie sage et modérée.

L’influence de M. Pozzo di Borgo s’était fortifiée par le triomphe de ses conseils ; elle continua de s’exercer au profit de la France. Ce fut l’active

  1. Il reste du duc de Richelieu une lettre bien honorable, où ce ministre déplore la nécessité qui le force à signer le traité de Paris.

    « Ce 21 novembre 1815

    « Tout est consommé ; j’ai apposé hier, plus mort que vif, mon nom à ce fatal traité. J’avais juré de ne pas le faire, et je l’avais dit au roi ; ce malheureux prince m’a conjuré, en fondant en larmes, de ne pas l’abandonner, et dès ce moment je n’ai pas hésité. J’ai la confiance de croire que sur ce point personne n’aurait mieux fait que moi, et la France, expirante sous le poids qui l’accable, réclamait impérieusement une prompte délivrance ; elle commencera dès demain, au moins à ce qu’on m’assure, et s’opérera successivement et promptement.

    RICHELIEU. »