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dans tes fenêtres, et qu’un de ces jours on te lapidera dans les rues. Pauvre agneau sans mère, toi qui vis toute seule dans un petit coin, sans menacer et sans supplier personne, on aura beau jeu avec toi.

— Ma chère amie, je vois que vous vous affectez du mal qu’on essaie de me faire ; vous êtes bien bonne pour moi, mais vous l’auriez été encore davantage, si vous ne m’aviez pas appris toutes ces mauvaises nouvelles… Je ne les aurais peut-être jamais sues…

— Tu te serais donc bouché les oreilles ? car tu n’aurais pas pu traverser la rue sans entendre dire du mal de toi. Et quand même tu aurais été sourde, cela ne t’aurait servi à rien ; il aurait fallu être aveugle aussi pour ne pas voir un rire malhonnête sur toutes les figures. Ah ! Geneviève ! tu ne sais pas ce que c’est que la calomnie. Je l’ai appris plusieurs fois à mes dépens !… et je te plains, ma petite !… mais j’ai su prendre le dessus et forcer les mauvaises langues à se taire.

— En parlant plus haut qu’elles, n’est-ce pas ? dit Geneviève en souriant.

— Oui, oui, en parlant tout haut, répondit Henriette un peu piquée, et en jouant jeu sur table. Tu aurais été plus sage, si tu avais fait comme moi, ma chère.

— Et qu’appelles-tu jouer jeu sur table ?

— Agir hardiment et sans mystère ; se servir de sa liberté et narguer ceux qui le trouvent mauvais ; avoir des sentimens pour quelqu’un et n’en pas rougir, car après tout, n’avons-nous pas le droit d’accepter un galant, en attendant un mari ?

— Eh bien ! ma chère, dit Geneviève un peu sèchement, en supposant que je me sois servie de ce droit réservé aux grisettes, et que j’aie les sentimens qu’on m’attribue, pourquoi donc ma conduite cause-t-elle tant de scandale ?

— Ah ! c’est que tu n’y as pas mis de franchise. Tu as eu peur, tu t’es cachée, et l’on fait sur ton compte des suppositions qu’on ne fait pas sur le nôtre.

— Et pourquoi ? s’écria Geneviève irritée enfin ; de quoi me suis-je cachée ? de qui pense-t-on que j’aie peur ?

— Ah ! voilà ! voilà ton orgueil ! c’est cela qui te perdra, Geneviève ! tu veux trop te distinguer. Pourquoi n’as-tu pas fait comme les autres ? Pourquoi, du moment que tu as accepté les hommages de ce