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avant lui la question des origines germaniques. Pour ces origines comme pour celles de la Gaule, les renseignemens antérieurs aux guerres de la conquête romaine sont rares et peu concluans, et manquent depuis Tacite jusqu’à Jornandes. Pendant cet espace de temps, de nouvelles populations ont surgi, d’autres ont été amenées par le flux de l’émigration des peuples. Quelques-unes auparavant inaperçues ont pris de l’importance avec les évènemens ; le nom des autres a été altéré : il ne faut donc pas moins que la hardiesse des savans pour essayer d’établir complètement et presque tout d’une pièce le plan de ce terrain mobile, et de reconstruire l’histoire des peuples qui n’ont eu d’histoire que lorsqu’ils se sont mis en contact avec la civilisation. On peut même dire qu’ils n’ont eu d’histoire que sous le bon plaisir de la civilisation, tout injuste que cela puisse être. Nous regardons comme une entreprise peu utile, parce que le succès est moins que problématique, celle qui a pour but des travaux de ce genre, et nous regrettons la perte de tant de science véritable. Voyez, par exemple, à quoi l’on est réduit en pareil cas. On prend dans les auteurs anciens les noms d’une vingtaine de hordes et ceux de quelques contrées, tous noms insolemment altérés par les Grecs et par les Romains ; puis on les compare avec d’autres noms connus plus tard, même avec ceux de nos jours, on leur cherche une analogie avec tous les mots possibles, et toujours on leur en trouve une. Seulement elle varie assez ordinairement avec chacun des historiens qui ont de bonnes raisons pour proposer d’autres origines.

Ainsi a fait M. Meidinger, et il n’est pas difficile en fait de preuves. Rien de plus juste, et il fait en cela son métier d’étymologiste ; car il est étymologiste avant tout. Il a déjà publié un dictionnaire comparé des dialectes germaniques, et c’est alors qu’un dictionnaire peut devenir un livre d’imagination. La tentation était grande, et j’ai la preuve que M. Meidinger n’y a pas résisté. Heureusement il n’est pas ici question de son dictionnaire, mais seulement de quelque vingtaine d’hypothèses que nous nous permettrons de ne pas toujours admettre. Par exemple, préoccupé comme tous les historiens de peuples inconnus, de l’importance de chacune des hordes dont il recherche la filiation, il trouve sa trace partout, et il lui est difficile de ne pas la confondre avec d’autres. Nous avons aussi chez nous des gens qui consentiraient à laisser croire que les premiers Gaulois ont fondé la plupart des empires d’Asie. M. Meidinger fait des Juifs un peuple de race gothique, toujours par étymologie : Joten et Juden, cela se ressemble si fort ! Les Thraces sont aussi une vaste branche de l’arbre gothique. Cela est très possible, mais il y a là une singulière déduction de preuves. L’auteur veut que la terminaison thracique bria dans les noms de villes Mesembria, Selymbria, etc., soit la même que