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pour revendre : grace à l’usage d’acquérir au prix du service de faibles rentes annuelles, ils n’ont presque pas engagé de capital, et des malheurs éloignés ne les menacent qu’assez indirectement ; pourvu qu’à une époque plus ou moins rapprochée, un moment de tranquillité vienne donner du prix à leurs terres, leur but est atteint. La plupart de ces terres sont situées au-delà des avant-postes ; la vérification des titres de propriété n’a pas été fort rigoureuse, et l’on se garde, pour cause, d’aller les visiter : mais, si un nombre suffisant de bataillons formait une ligne de postes au pied de l’Atlas, la sécurité qui en résulterait, si précaire qu’elle fût, s’exploiterait à grand profit ; la spéculation s’échaufferait, le jeu s’engagerait à la hausse, et il faudrait supposer la bourse d’Alger bien différente de celle de Paris pour croire les détenteurs actuels très vivement préoccupés des chances fâcheuses que courraient leurs successeurs.

Ce peu de mots explique la popularité dont jouissent, dans les cafés d’Alger, tous les plans qui tendent à étendre le cercle de nos avant-postes : on ne s’y enquiert point si la France ne payerait pas, en quelques mois, fort au-delà de toutes les plus-values qui pourraient se gagner, et peut-être ces lignes y seront, aux yeux de quelques-uns, un acte d’hostilité contre nos possessions d’Afrique.

Les véritables colons, ceux qui viennent immobiliser leurs capitaux en Alger, attacher, dans l’acception la plus étendue de ce mot, leur existence au succès d’entreprises agricoles, ceux-là doivent regarder de plus près aux conditions dans lesquelles ils se placent : il y va pour eux de la fortune et de la vie ; la France doit ne les livrer à aucune illusion, et ne leur promettre que ce qu’elle est assurée de pouvoir tenir toujours.

Les campagnes de la régence appartiennent à deux sortes d’habitans différens de langages, d’origines et de mœurs, les Kabaïls et les Arabes : ces populations ne se mêlent point ; la première est indigène ; c’est celle que les Romains refoulèrent dans les montagnes ; l’autre a pris la place de ces conquérans. Les Kabaïls habitent des maisons, les Arabes des tentes, et les rapports entre eux sont aussi éloignés, même dans leur manière de faire la guerre, que la vie nomade et pastorale des uns l’est de la vie sédentaire des autres : l’Arabe combat à cheval, le Kabaïl à pied. Ces divergences