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La consolidation de nos établissemens de Bône inspirera des réflexions analogues aux princes d’Italie et intéressera la Sardaigne, à ne pas ouvrir facilement à nos ennemis l’accès des Alpes. Déjà les marines italiennes profitent largement de l’hospitalité qui leur est offerte sur ces côtes d’Afrique qui étaient autrefois leur terreur ; elles sentent toute la valeur de cet avantage, et les développemens qu’elles prennent sont autant de liens qui rattachent à notre politique les états dont elles dépendent.

La progression du tonnage, si remarquable dans nos ports de la Méditerranée, l’est encore davantage dans ceux des petits états qu’incommodait plus que nous[1] la piraterie barbaresque, et le mouvement commercial dont il est la mesure, s’étend à de grandes puissances éloignées, à l’Angleterre, à l’Autriche, à la Russie, aux États-Unis. Les intérêts se multiplient et se compliquent dans la Méditerranée ; le tissu de plus en plus serré qu’ils y forment commence à être une garantie de l’isolement où seraient laissés les gouvernemens qui voudraient troubler l’ordre établi, et bientôt nous ne pourrons plus avoir d’ennemis faits pour se mesurer avec nous, que ne puissent atteindre sur cette mer les coups de notre marine. La France gagne assez en richesse et en influence politique à ce progrès civilisateur, et si l’impulsion qu’elle lui donne du haut des remparts d’Alger, étend son patronage, affermit ses alliés, tient en échec ses ennemis, elle ne doit pas regretter le peu de sacrifices qu’il lui coûte.

Il faut enfin considérer ce que deviendrait la régence, si nous l’abandonnions. L’Angleterre avec Gibraltar, Malte et Corfou, est suffisamment forte dans la Méditerranée ; la Russie et l’Autriche le pensent du moins, et ce serait perdre beaucoup de nos droits

  1. Long-temps même avant Louis xiv, les Barbaresques avaient appris à respecter le pavillon français. En 1603, Mahomet iii déposa les pachas de Tunis et d’Alger, dont les corsaires avaient couru sur nos navires, et dans le traité de 1604, conclu entre ces deux princes, le sultan déclara que « les pachas et gouverneurs sous la charge desquels se seraient faites des pirateries contre les Français, en seraient responsables et seraient privés de leurs charges, promettant d’ajouter foi aux lettres qui seraient écrites à ce sujet par l’empereur de France… » Il fut en outre convenu « qu’il serait permis aux Français de courir sus à ceux d’Alger et de Tunis, s’ils continuaient leurs brigandages. »