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il se rendait justice, il reconnaissait son insuffisance et son incapacité ; chose rare dans un ministre, il ne se disait pas que le pouvoir doit être impopulaire, en s’apercevant que le peuple le haïssait, et il sacrifiait jusqu’à sa vanité personnelle au triomphe de ses opinions !

En arrivant à Londres, sir Robert Peel trouve le parti tory aux abois, irrité comme tous les partis qui ont éprouvé une défaite, et il a d’abord le courage de lui faire connaître toutes les concessions qu’il faut faire. Ces concessions, il les annonce hautement ; il marque avec netteté au parlement le point où il ira, il trace franchement la ligne où, selon lui, le flot populaire doit mourir ; s’il s’élance au-delà de cette ligne, le ministre quittera le pouvoir et le cédera à d’autres, en regrettant de n’avoir pas accompli les desseins qu’il croit utiles à son pays, et de n’avoir pas été assez puissant pour empêcher l’exécution de ceux qui lui semblent funestes. Alors il combat presque seul ; seul, disons-le, il défend pied à pied son terrain ; il fait face avec un courage inoui à une opposition unique comme le ministre qu’elle attaque, à une opposition composée d’élémens qui s’abhorrent, de whigs purs, de whigs modérés, de toutes les nuances du radicalisme, d’une fraction irlandaise représentée par O’Connell, ennemie à la fois de l’opposition et du ministère, d’un parti flottant soumis à lord Stanley qui a des intérêts dans les deux camps ; et cependant cette opposition est unie et manœuvre comme un seul homme.

Lord John Russel la mène comme un coursier docile. Elle s’arrête, elle marche, elle avance, elle recule à sa voix, et si elle ne renverse pas tout à coup le ministère, c’est qu’elle semble se plaire à admirer la noblesse et la grandeur qu’il apporte dans cette guerre. On dirait une de ces vieilles batailles de la chevalerie, où les assaillans s’arrêtaient et cessaient de frapper, émerveillés de la vigueur et de l’héroïsme de l’adversaire qu’ils avaient en tête. Mais enfin la lutte étant devenue trop inégale, et la mesure qu’il avait lui-même indiquée étant comblée, le ministre est venu naïvement s’avouer vaincu. C’est avec la plus grande répugnance, a-t-il dit, c’est uniquement pour céder à la nécessité que j’abandonne le poste où m’a placé la confiance de mon souverain. — N’est ce pas ainsi qu’un lieutenant fidèle ouvre ses portes en montrant orgueilleusement que la place qu’il commandait n’est plus qu’un monceau de ruines ? Sir Robert Peel n’est pas mort sur la brèche aristocratique, parce qu’il a trop d’esprit pour se faire tuer inutilement ; mais il l’a défendue en héros, et les applaudissemens de ses ennemis, au bruit desquels il a battu en retraite, prouvent assez la grandeur de sa conduite. En France, nos ministres pensent qu’il est plus honorable de demeurer à leur poste au bruit des huées et des sifflets.