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REVUE. — CHRONIQUE.

Il est convenu, entre penseurs politiques, de se confier que l’Angleterre est à la veille d’une violente et terrible révolution. Sans doute, si l’illustre épée de Wellington était brutale comme le sabre obscur du général Bugeaud, si M. Peel avait l’inflexible aveuglement d’un philosophe doctrinaire, cette révolution serait bientôt faite, et la discussion ne traînerait pas long-temps ; mais le dernier ministère éloigne l’idée d’une lutte matérielle. Les tories ont montré, en cette circonstance, qu’ils ont appris à lire dans l’histoire des révolutions, et qu’ils savent tout ce que peut leur coûter une résistance absolue. Ils savent aussi par les discussions récentes du parlement, ce que veut l’Angleterre, et ce qu’il faut lui donner. Ils céderont, mais ils regagneront dans l’opposition une partie de l’influence qu’ils ont perdue au pouvoir. Sir Robert Peel, rentré dans la chambre des communes comme simple membre, y recueillera le bénéfice de sa noble conduite, et on peut s’en fier à son habileté pour profiter de toutes les fautes des whigs. La lutte va s’engager entre ces derniers et les radicaux ; mais les progrès de ceux-ci seront bien lents, et le pouvoir reviendra sans doute plusieurs fois aux tories, avant que le parti purement démocratique ne s’empare des affaires. Nos doctrinaires, qui se sont fait tout bas le serment de faire reculer la révolution devant eux, gémissent de la chute de M. Peel. Ce n’est pas qu’ils craignent beaucoup lord Stanley ou lord Melbourne ; mais M. Peel et le duc de Wellington comprenaient parfaitement les nécessités du ministère doctrinaire, et ils l’eussent aidé à s’opposer à l’esprit révolutionnaire sur tout le continent.

Nous venons d’admirer la franchise des hommes politiques de l’Angleterre, en France, c’est à qui déguisera le mieux ses opinions. Quand le ministère Soult, Guizot et Thiers eut décidé que les accusés politiques de juin et d’avril seraient traduits devant la chambre des pairs, les instrumens ne manquèrent pas pour accomplir sa volonté. Il faut rendre justice à M. Decazes, s’il est vrai qu’il profita de cette occasion pour se faire nommer grand référendaire, en remontrant que M. de Sémonville n’était plus d’âge à soutenir les fatigues d’une longue procédure, du moins il est certain qu’il apporta dans ses fonctions de juge instructeur toute la mansuétude possible. On ne trouve dans les procès-verbaux de ses interrogatoires aucune de ces questions insidieuses qui changent si facilement un innocent en un coupable ; de nombreux élargissemens ont eu lieu par ses ordres, et les sous-officiers de Lunéville et de Nancy, qui se trouvaient sous sa juridiction, s’accordent à reconnaître sa bienveillance. Il se peut même que M. Decazes ait été dès-lors pour l’amnistie, bien que nous ne le pensions pas ; mais aujourd’hui ce n’est pas seulement M. Decazes qui veut avoir demandé l’amnistie, c’est le maréchal Soult, c’est M. Thiers qui