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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/260

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REVUE DES DEUX MONDES.

s’est épanchée à si grands flots dans le bel andante de la symphonie en la, autant cette cantate donne la mesure dramatique de cet homme puissant qui devait un jour écrire Fidelio. Ces cantates relèvent toutes deux de l’amour ; quelle œuvre d’art sereine et pure n’en relève ? et sorties d’une inspiration différente (l’une exprime la rêverie et l’inquiétude, l’autre la haine jalouse et la vengeance), elles sont sœurs en leur cause première, l’amour. Entre ces deux créations du poète il y a le même lien qui existe entre Roméo, par exemple, et le Maure de Venise. Une femme, Ariane peut-être, se lamente. La scène commence par un récitatif impétueux dès les premières mesures, la tempête éclate ; tout ce qu’une femme peut chanter de plaintif, d’amer, de suppliant, à son époux qui l’abandonne, tout cela est dans cette musique désordonnée et folle comme la jalousie et son désespoir. Elle blasphème, elle crie, elle pleure, et, quand la voix manque à sa haine, elle tombe épuisée sur le roc. Alors ses cheveux roulent sur ses épaules, ses bras pendent, ses regards humides s’abaissent ; cependant la mer est calme, l’air tiède, le ciel bleu, et tandis qu’apparaissent les étoiles au firmament, de plus douces pensées percent les ténèbres de son ame, et sa douleur va s’effaçant par degrés dans un adagio d’une adorable résignation. Ces deux cantates sont autant de belles créations. Comme Shakspeare, Beethoven tenait de Dieu cette force miraculeuse qui donne la vie à toute chose ; pourvu que l’homme soit doué, qu’importe la matière que son souffle féconde ? Les figures de Beethoven sont aussi visibles sous leurs robes sonores que celles de Raphaël ou de Dante. À toutes ses pensées, il donnait un vêtement harmonieux et leur disait : Allez. Et ces anges du poète, ayant pris leur vol dans les airs, nous les retrouvons maintenant, l’un ici, l’autre là, et les reconnaissons à ce signe d’éternelle beauté qu’ils portent à leur front comme une auréole. Chacun d’eux a sa voix pour aimer et se plaindre, et l’un ne sait pas un mot de la chanson de l’autre. Adélaïde, douce et blonde créature, est incapable des emportemens d’Ariane, et si la douleur d’où naît ce désespoir était tombée un jour sur elle, sans doute qu’elle serait morte avant d’avoir pu seulement articuler un son ; Le style de cette scène, je le répète, est simple, grandiose, antique, et ne manque pourtant ni de fantaisie allemande ni de vapeur. On croirait voir le soleil du Parthénon à travers le voile humide et transparent des brouillards du nord ; l’antique de Beethoven ressemble assez ici à l’antique de Gœthe dans Iphigénie en Tauride. Mlle Falcon dit cette scène avec une intelligence exquise des plus mystérieuses intentions du grand maître, un sentiment parfait de la mesure et du ton. Lorsqu’une cantatrice prend sous sa protection une musique ignorée, elle met d’ordinaire, à l’exécuter, tout ce qu’elle a de voix et de talent ; car il faut qu’elle