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réalisation d’une espèce de christianisme terrestre et politique assez conforme aux tendances personnelles de Heine. Cette dédicace d’ailleurs assez singulière dans la forme, est donc en soi chose peu surprenante.


L’Échelle des Femmes, par M. Émile Souvestre[1]. — La vie humaine se compose de deux parts bien distinctes : d’un côté les sentimens innés, les affections primitives ; tous nous avons des parens, des enfans, des amis dont le seul nom éveille en nous les émotions les plus nobles et les plus durables de l’ame : d’un autre côté, le monde où nous vivons nous enlace dès notre naissance d’une multitude d’entraves et d’habitudes nécessitées par les besoins d’une civilisation complexe et raffinée. Ces habitudes, ces préjugés, ces maximes, fruits d’une inspiration que le progrès du temps nous a rendue étrangère, forme au-dessus de notre tête comme une croûte maudite qui nous intercepte la vue du ciel, le contact de l’air pur et vivifiant ; aussi, à mesure qu’une morale plus douce et plus humaine inspire aux hommes le désir de refaire ce monde de convention, sous lequel ils sont venus chercher un abri, sur un modèle plus vaste, et suivant des proportions plus équitables, voit-on les hommes actifs et généreux s’empresser à l’œuvre, et tous à l’envi s’évertuer, comme dans une fourmilière laborieuse, à démolir, à retailler chaque pierre de l’édifice, afin de pouvoir le livrer meilleur à leurs enfans qu’ils ne l’ont reçu de leurs pères.

Le sort des femmes a été depuis quelques années l’objet spécial de l’attention de tous ceux qui pensent ou qui sentent. Le signal une fois donné, il a été facile de reconnaître écrit dans tous les livres de nos lois, dans tous les symboles dépositaires de nos traditions et de nos préjugés, combien à toutes les infirmités originelles de la femme, à ses faiblesses d’organisation, les conventions sociales ont ajouté de rigueurs injustes, de cruautés gratuites. On se plaint parfois de la monotone platitude où la société languit, de l’égoïsme qui éparpille et dessèche toutes les velléités nobles et généreuses, de la froideur, de l’impuissance où nous sommes de rien concevoir ou de rien entreprendre de grand, d’audacieux. Comment en serait-il autrement, lorsque les femmes, en qui réside toute spontanéité, toute inspiration, sont aujourd’hui, par le fait de leur éducation, et plus encore de la nôtre, réduites à dissimuler, à éteindre ce qu’il y a en elles de bon, de sincère, de poétique, et à n’acheter une condition supportable que par l’abandon des plus pures inspirations de leur cœur, quelquefois même par celui de leur propre dignité. Élevées dans des idées mesquinement bourgeoises, on leur apprend à n’exiger d’un

  1. vol. in-8o, librairie de Charpentier.