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principes littéraires opiniâtrement arrêtés. Les libéraux et républicains se sont toujours montrés assez religieusement classiques en théorie littéraire, et c’est de l’autre côté qu’est venue principalement l’innovation poétique, l’audace brillante et couronnée. Le livre de la Littérature était destiné à prévenir ce désaccord fâcheux, et l’esprit qui l’a inspiré aurait certes porté fruit à l’entour, si les institutions de liberté politique, nécessaires à un développement naturel, n’avaient été brusquement rompues, avec toutes les pensées morales et littéraires qui tendaient à en ressortir. En un mot, des générations jeunes, si elles avaient eu le temps de grandir sous un régime honnêtement directorial, ou modérément consulaire, auraient pu développer en elles cette inspiration renouvelée, poétique, sentimentale, et pourtant d’accord avec les résultats de la philosophie et des lumières modernes, tandis qu’il n’y a eu de mouvement littéraire qu’à l’aide d’une réaction catholique, monarchique et chevaleresque, qui a scindé de nobles facultés dans la pensée moderne : le divorce n’a pas cessé encore.

L’idée que Mme de Staël ne perd jamais de vue dans cet écrit, c’est celle du génie moderne lui-même, toutes les fois qu’il marche, qu’il réussit, qu’il espère ; c’est la perfectibilité indéfinie de l’espèce humaine. Cette idée, qui se trouve déjà éclose chez Bacon quand il disait : Antiquitas soeculi, juventus mundi ; que M. Leroux (Revue Encyclopédique, mars 1833) a démontrée explicite au sein du xviie siècle, par plus d’un passage de Fontenelle et de Perrault, et que le xviiie siècle a propagée dans tous les sens jusqu’à Turgot, qui en fit des discours latins en Sorbonne, jusqu’à Condorcet qui s’enflammait pour elle à la veille du poison, cette idée anime énergiquement et dirige Mme de Staël : « Je ne pense pas, dit-elle, que ce grand œuvre de la nature morale ait jamais été abandonné ; dans les périodes lumineuses comme dans les siècles de ténèbres, la marche graduelle de l’esprit humain n’a point été interrompue. » Et plus loin : « En étudiant l’histoire, il me semble qu’on acquiert la conviction que tous les évènemens principaux tendent au même but, la civilisation universelle… » — « J’adopte de toutes mes facultés cette croyance philosophique : un de ses principaux avantages, c’est d’inspirer un grand sentiment d’élévation. » Mme de Staël n’assujétit pas à la loi de perfectibilité les beaux-arts,