Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/304

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
298
REVUE DES DEUX MONDES.

part d’imagination et de pensée plus restreinte que dans le rôle opposé.

Le plus remarquable article auquel donna lieu le livre de la Littérature est une longue lettre de M. de Châteaubriand insérée dans le Mercure de France, nivôse an ix. La lettre, adressée au citoyen Fontanes, a pour signature l’Auteur du Génie du Christianisme : ce livre tant annoncé n’avait point paru encore. Le jeune auteur, au milieu de la plus parfaite politesse et d’hommages fréquens à l’imagination de celle qu’il combat, y prend position contre le système et les principes professés par elle : « Mme de Staël donne à la philosophie ce que j’attribue à la religion… Vous n’ignorez pas que ma folie à moi est de voir Jésus-Christ partout, comme Mme de Staël la perfectibilité. Je suis fâché que Mme de Staël ne nous ait pas développé religieusement le système des passions ; la perfectibilité n’était pas, selon moi, l’instrument dont il fallait se servir pour mesurer des faiblesses. » Et ailleurs : « Quelquefois Mme de Staël paraît chrétienne ; l’instant d’après, la philosophie reprend le dessus. Tantôt inspirée par sa sensibilité naturelle, elle laisse échapper son ame ; mais tout à coup l’argumentation se réveille et vient contrarier les élans du cœur… Ce livre est donc un mélange singulier de vérités et d’erreurs. » Les éloges accordés au talent s’assaisonnent parfois d’une malice galante et mondaine : « En amour, Mme de Staël a commenté Phèdre… Ses observations sont fines, et l’on voit par la leçon du scoliaste qu’il a parfaitement entendu son texte. » La lettre se termine par une double apostrophe éloquente : « Voici ce que j’oserais lui dire, si j’avais l’honneur de la connaître : Vous êtes sans doute une femme supérieure. Votre tête est forte, et votre imagination quelquefois pleine de charme, témoin ce que vous dites d’Herminie déguisée en guerrier. Votre expression a souvent de l’éclat, de l’élévation… Mais, malgré tous ces avantages, votre ouvrage est bien loin d’être ce qu’il aurait pu devenir. Le style en est monotone, sans mouvement, et trop mêlé d’expressions métaphysiques. Le sophisme des idées repousse, l’érudition ne satisfait pas, et le cœur est trop sacrifié à la pensée… Votre talent n’est qu’à demi développé, la philosophie l’étouffe. Voilà comme je parlerais à Mme de Staël sous le rapport de la gloire. J’ajouterais : …