Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/354

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
348
REVUE DES DEUX MONDES.

hameau de Porto Feliz, destiné par sa position à prendre un jour quelque importance. Le Tiete devait les conduire en peu de temps dans le Parana, auquel il porte ses eaux. Là commençaient les déserts inconnus dans lesquels ils devaient s’enfoncer. Les Pinheiros, de leur côté, se mirent en route par terre, se dirigeant sur le vaste territoire qui forme aujourd’hui la province de Minas.

Le calme dont jouit Saint-Paul après le départ des deux expéditions fut un témoignage suffisant de la sagacité du gouverneur. Les mois s’écoulèrent, et aucune nouvelle de l’intérieur ne vint rassurer ceux qui étaient restés ; c’était chose accoutumée en pareil cas, et nul n’en conçut d’inquiétude. Un an, puis quinze, puis dix-huit mois se passèrent. Ceci devenait plus grave : avaient-ils péri sans qu’un seul eût survécu pour en apporter la nouvelle ? L’or, l’or surtout qu’ils devaient infailliblement avoir trouvé était-il à jamais perdu ? Des rumeurs vagues commencèrent à circuler de toutes parts et à prendre crédit sur les esprits. Tantôt on apprenait que loin, bien loin dans l’intérieur, des dépouilles ayant appartenu à des blancs avaient été vues entre les mains de quelque horde indienne ; tantôt un moine avait fait un rêve horrible, qui s’appliquait évidemment aux deux expéditions ; enfin un miracle eut lieu publiquement, qui remplit d’effroi les plus intrépides. Des nègres chantant un soir des cantiques, suivant l’usage du pays, devant une madone placée dans une niche au coin d’une rue, virent la sainte image changer plusieurs fois de couleur et finir par fondre en larmes. Toute la ville accourut pour voir ce prodige, qui persista pendant une demi-heure entière.

À mesure que ces bruits prenaient de la consistance, la haine des deux partis se réveillait plus ardente que jamais ; leurs armes, qu’ils négligeaient souvent de porter depuis le départ de leurs frères, ne les quittaient plus. Sur ces entrefaites, un Pinheiro frappa en pleine rue un Ramalho d’un coup de stylet, à la suite d’une dispute. À partir de ce moment, les deux familles semblèrent plus acharnées que jamais à leur destruction mutuelle.

Trois ans s’étaient écoulés, tout espoir de revoir les absens était perdu, lorsque, vers la fin d’une de ces admirables journées qui n’existent que sous les tropiques, au moment où le soleil disparaissait derrière le rideau de palmiers qui couronnent la cime de la