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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

an ici, j’y meurs ; j’en pourrais dire autant de l’étranger, j’y succombe. » Elle ajoutait ces paroles si pleines d’une tristesse clémente : « Adieu, — êtes-vous heureux ? Avec un esprit si supérieur, n’allez-vous pas quelquefois au fond de tout, c’est-à-dire jusqu’à la peine ? » Mais, sans nous hasarder à prétendre que Mme de Vernon soit en tout point un portrait légèrement travesti, sans trop vouloir identifier avec le modèle en question cette femme adroite dont l’amabilité séduisante ne laisse après elle que sécheresse et mécontentement de soi, cette femme à la conduite si compliquée et à la conversation si simple, qui a de la douceur dans le discours et un air de rêverie dans le silence, qui n’a d’esprit que pour causer et non pas pour lire ni pour réfléchir, et qui se sauve de l’ennui par le jeu, etc., etc., sans aller si loin, il nous a été impossible de ne pas saisir du moins l’application d’un trait plus innocent : « Personne ne sait mieux que moi, dit en un endroit Mme de Vernon (lettre xxviii, 1ère partie), faire usage de l’indolence : elle me sert à déjouer naturellement l’activité des autres… Je ne me suis pas donné la peine de vouloir quatre fois en ma vie ; mais quand j’ai tant fait que de prendre cette fatigue, rien ne me détourne de mon but, et je l’atteins ; comptez-y. » Je voyais naturellement dans cette phrase un trait applicable à l’indolence habile du personnage tant prôné, lorsqu’un soir j’entendis un diplomate spirituel, à qui l’on demandait s’il se rendait bientôt à son poste, répondre qu’il ne se pressait pas, qu’il attendait : « J’étais bien jeune encore, ajouta-t-il, quand M. de Talleyrand m’a dit, comme instruction essentielle de conduite : N’ayez pas de zèle !  » N’est-ce pas là tout juste le principe de Mme de Vernon ?

Puisque nous en sommes à ce qu’il peut y avoir de traits réels dans Delphine, n’en oublions pas un, entre autres, qui révèle à nu l’ame dévouée de Mme de Staël. Au dénouement de Delphine (je parle de l’ancien dénouement qui reste le plus beau et le seul), l’héroïne, après avoir épuisé toutes les supplications près du juge de Léonce, s’aperçoit que l’enfant du magistrat est malade, et elle s’écrie d’un cri sublime : « Eh bien ! votre enfant, si vous livrez Léonce au tribunal, votre enfant, il mourra ! il mourra ! » Ce mot de Delphine fut réellement prononcé par Mme de Staël, lorsqu’à la suite du 18 fructidor, elle courut près du général Lemoine, pour