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solliciter de lui la grace d’un jeune homme qu’elle savait en danger d’être fusillé, et qui n’est autre que M. de Norvins. Le sentiment d’humanité dominait impétueusement chez elle, et, une fois en alarme, ne lui laissait pas de trêve. En 1802, inquiète pour Chénier menacé de proscription, elle courait dès le matin, lui faisant offrir asile, argent, passeport[1]. Combien de fois, en 92, et à toute époque, ne se montra-t-elle pas ainsi ! « Mes opinions politiques sont des noms propres, » disait-elle. Non pas ; … ses opinions politiques étaient bien des principes ; mais les noms propres, c’est-à-dire les personnes, les amis, les inconnus, tout ce qui vivait et souffrait, entrait en compte dans sa pensée généreuse, et elle ne savait pas ce que c’est qu’un principe abstrait de justice devant qui se tairait la sympathie humaine.

Lorsque Delphine parut, la critique ne put pas se contenir. Toutes ces opinions, en effet, sur la religion, sur la politique, sur le mariage, datées de 90 et de 92 dans le roman, étaient d’un singulier à-propos en 1802, et touchaient à des animosités de nouveau flagrantes. Le Journal des Débats (décembre 1802) publia un article signé A, c’est-à-dire de M. Feletz, article persifflant, aigre-doux, plein d’égratignures, mais strictement poli. « Rien de plus dangereux et de plus immoral que les principes répandus dans cet ouvrage… Oubliant les principes dans lesquels elle a été élevée, même dans une famille protestante, la fille de M. Necker, de l’auteur des Opinions religieuses, méprise la révélation ; la fille de Mme Necker, de l’auteur d’un ouvrage contre le divorce, fait de longues apologies du divorce. » En somme, Delphine était appelée « un très mauvais ouvrage écrit avec beaucoup d’esprit et de talent. » Cet article parut peu suffisant, je pense ; car la même feuille inséra quelques jours après (4 et 9 janvier 1803) deux lettres adressées à Mme de Staël et signées l’Admireur ; elles sont de M. Michaud. L’homme d’esprit et de goût, qui s’est porté à ces attaques, jeune, sous une inspiration de parti et dans l’entraînement des querelles dont il est revenu en sage, nous excusera de noter une trop blessante virulence. La première lettre se prenait aux caractères du roman qui est jugé immoral ; Delphine s’y voit con-

  1. Voir la notice sur M. J. Chénier, en tête de ses œuvres, par M. Daunou.