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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

frontée avec l’héroïne d’un roman injurieux, de laquelle on a également voulu, de nos jours, rapprocher Lélia. La seconde lettre tombe plus particulièrement sur le style ; elle est parfois fondée, et d’un tour cavalier assez agréable : « Quel sentiment que l’amour ! quelle autre vie dans la vie ! Lorsque vos personnages font des réflexions douloureuses sur le passé, l’un s’écrie : J’ai gâté ma vie ; un autre dit : J’ai manqué ma vie ; un troisième renchérissant sur les deux autres : Je croyais que j’avais seul bien entendu la vie.  » La hauteur des principes, les images basées sur les idées éternelles, le terrain des siècles, les bornes des ames, les mystères du sort, les ames exilées de l’amour, cette phraséologie en partie sentimentale, spiritualiste, et certainement permise, en partie génevoise, incohérente et très contestable, y est longuement raillée. L’abbé Feletz avait lui-même relevé un certain nombre d’incorrections réelles de style, et quelques mots comme insistance, persistance, vulgarité, qui ont passé malgré son véto. On pourrait reprendre dans le détail de Delphine des répétitions, des consonnances, mille petites fautes fréquentes que Mme de Staël n’évitait pas, et où l’artiste-écrivain ne tombe jamais.

Mme de Staël, pour qui le mot de rancune ne signifiait rien, amnistia plus tard avec grace l’auteur des Lettres de l’Admireur, lorsqu’elle le rencontra chez M. Suard, dans ce salon neutre et conciliant d’un homme d’esprit auquel il avait suffi de vieillir beaucoup et d’hériter successivement des renommées contemporaines pour devenir considérable à son tour. Le journal que M. Suard rédigeait alors, le Publiciste, bien qu’il eût pu, d’après ses habitudes littéraires, chicaner légitimement Delphine sur plusieurs points de langage et de goût, n’entra pas dans la querelle, et se montra purement favorable dans un article fort bien senti de M. Hochet.

Vers le même temps, le Mercure en publiait un, signé F., mais tellement acrimonieux et personnel, que le Journal de Paris, qui, dans un article signé Villeterque, avait jugé le roman avec assez de sévérité, surtout sous le point de vue moral, ne put s’empêcher de s’étonner qu’un article écrit de ce style se trouvât dans le Mercure, à côté d’un morceau signé de La Harpe, et sous la lettre initiale d’un nom cher aux amis du goût et de la décence. On y lisait en effet (et je ne choisis pas le pire endroit) : « Delphine parle de l’amour comme une bacchante, de Dieu comme un quaker, de la