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ANDRÉ.

sur la terre, rien au monde ne pourra m’empêcher de profiter de cet instant-là. Jurez-moi que vous m’avertirez quand tout sera perdu, quand lui et moi n’aurons plus qu’une heure à vivre.

Joseph le jura.

— Je ne sais ce qu’elle a dans la voix, ni de quels mots elle se sert, pensait-il en s’éloignant ; mais elle me ferait pleurer comme un enfant.

xiv.

Geneviève pria long-temps ; puis elle s’enveloppa du manteau de Joseph, et s’assit sur une tombe, morne et résignée ; puis elle pria de nouveau, et marcha parmi les ruines, interrogeant avec anxiété le sentier par où Joseph devait revenir. Peu à peu, une inquiétude plus poignante surmontait son courage et faisait saigner son cœur. Elle regardait la lune qu’elle avait vue se lever, et qui maintenant s’abaissait vers l’horizon. L’air, en devenant plus humide et plus froid, lui annonçait l’approche de l’aube, et Joseph ne revenait pas.

Après avoir lutté aussi long-temps que ses forces le lui permirent, elle perdit courage, et, s’imaginant qu’André était mort, elle s’enveloppa la tête dans le manteau de Joseph pour étouffer ses cris. Puis elle s’apaisa un peu, en songeant que, dans ce cas, Joseph, n’ayant plus rien à faire auprès de son ami, serait de retour vers elle. Mais alors elle se persuada qu’André était mourant, et que Joseph ne pouvait se résoudre à l’abandonner, dans la crainte de revenir trop tard et de le trouver mort. Cette idée devint si forte, que les minutes de son impatience se traînèrent comme des siècles. Enfin, elle se leva avec égarement, jeta le manteau de Joseph sur le pavé, et se mit à courir de toutes ses forces dans le sentier de la prairie.

Elle s’arrêta deux ou trois fois pour écouter si Joseph n’arrivait pas à sa rencontre ; mais n’entendant et ne voyant personne, elle reprit sa course avec plus de précipitation, et franchit comme un trait les portes du château de Morand.

Dans l’agitation d’une si triste veillée, tous les serviteurs étaient