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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/486

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en grande partie par des lacs, et que le commandant Ross a traversé par terre. Au-delà, à l’ouest, la mer paraît libre, et la côte de l’Amérique se dirige à l’ouest-sud-ouest, en rejoignant, probablement sans interruption remarquable, le cap Turnagain, limite des découvertes de Franklin. Entre ce cap et le point atteint par le commandant Ross, il n’existe qu’une faible distance de deux cent vingt-deux milles géographiques. Si cet intervalle était relevé, toute la côte boréale de l’Amérique serait connue, à l’exception des cinquante lieues encore inexplorées que nous avons dit exister à l’est et non loin du détroit de Behring.

C’est le long de la côte orientale de la presqu’île de Boothia que se dirigeait le capitaine Ross, au milieu des mille obstacles de chaque instant qui sont inhérens à la navigation de ces parages. Quoique la latitude fût plus méridionale de quelques degrés que celle du détroit de Lancastre, la température était en général plus froide que sur ce dernier point ; les enfoncemens des côtes étaient obstrués par les glaces, et d’immenses blocs, détachés des rivages, flottaient au large, changeant fréquemment de direction suivant les courans ou les marées, et mettant à chaque instant le navire dans le plus imminent danger. Le passage suivant suffira pour donner au lecteur une idée de cette alternative d’efforts, de craintes, d’espérances, de désappointemens et de périls qui, pendant cette navigation, furent le partage de l’expédition.

« Jusqu’à ce moment nous avions évité notre perte d’une manière ou d’une autre ; mais malgré cela nous sentions chaque fois autant de surprise que de reconnaissance envers la Providence de nous voir ainsi sauvés sans avaries considérables. Il est malheureux pour le lecteur qu’aucune description ne puisse donner une idée des scènes de cette nature ; quant au pinceau, il ne peut rendre ni le mouvement ni le bruit. Pour ceux qui n’ont point vu l’Océan arctique pendant l’hiver, ou, pour mieux dire, qui ne l’ont point vu pendant une tempête de l’hiver, ce mot de glace, ne réveillant d’autre souvenir que ce qu’ils ont vu sur un lac ou dans un espace limité, ne leur donne aucune notion exacte de ce qu’un navigateur dans ces parages est condamné à voir et à sentir ; mais qu’ils se rappellent que cette glace est un rocher, un rocher flottant lorsque le courant l’entraîne, et quand elle touche le fond, une île ou un promontoire aussi solide que s’il était de granit. Qu’ils se représentent ensuite, s’ils le peuvent, ces montagnes de cristal entraînées par un courant rapide dans une passe étroite, se rencontrant, comme le pourraient faire des montagnes, avec le bruit du tonnerre, détachant réciproquement des fragmens énormes de leurs masses respectives, ou se brisant en deux, de sorte que, perdant leur équilibre, elle chavirent sur elles-mêmes, font jaillir au loin les lames, et creusent des