Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/574

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
568
REVUE DES DEUX MONDES.

était obligé de revenir au bâtiment. Le 28 mai, tout se trouva prêt, et le départ fut fixé au lendemain.

« 29 mai. — Nous avions maintenant déposé à terre en un lieu sûr tout ce qui pouvait nous servir en cas de retour, ou être utile aux naturels, si nous ne revenions pas. Le pavillon fut hissé et cloué au mât ; nous bûmes ensuite pour la dernière fois à notre pauvre navire, et sur le soir, après que tout l’équipage l’eut quitté, je fis mes adieux au Victory, qui méritait un meilleur sort. C’était le premier bâtiment que j’eusse jamais été obligé d’abandonner, quoique j’eusse servi sur trente-six, pendant un espace de quarante-deux années. C’était comme un adieu éternel à un vieil ami, et je ne passai pas la pointe qui allait le cacher à mes yeux sans m’arrêter pour prendre une esquisse de ces tristes déserts, rendus plus tristes encore par l’abandon de ce bâtiment, si long temps notre asile, et maintenant solitaire et immobile dans les glaces jusqu’à ce que le temps exerçât sur lui ses ravages accoutumés. »

Le voyage fut plus pénible que toutes les excursions entreprises précédemment par l’expédition. Il fallait tirer plusieurs traîneaux pesamment chargés sur une surface de glace hérissée d’aspérités et de monticules, s’arrêter fréquemment, et revenir sur ses pas chercher les objets laissés en arrière ; enfin, après la fatigue du jour, passer la nuit sans abri suffisant contre le froid. Aussi nos voyageurs n’atteignirent-ils leur destination que le 30 juin, après un mois de route. Les provisions du Fury étaient à peu près dans le même état qu’ils les avaient laissées ; les animaux sauvages, dans leurs fréquentes visites, n’étaient parvenus qu’à ouvrir quelques caisses de chandelles et à en dévorer le contenu ; tout le reste était en bon état. La tente seule, qui était pourrie, avait été emportée en lambeaux par le vent.

Le premier soin auquel on se livra fut de la remplacer par une maison en bois recouverte en toile à voile et ayant trente-un pieds de long sur seize de large. Les charpentiers se mirent immédiatement à l’ouvrage, et l’eurent terminée dès le lendemain ; elle fut divisée en deux pièces, l’une pour l’équipage, l’autre pour les officiers : celle-ci contenait quatre cabines. Une tente à part fut dressée provisoirement pour la cuisine et on y déposa les provisions. Il existait aussi plusieurs canots qui avaient appartenu jadis au Fury ; mais la mer, dans une de ses irruptions, les avait emportés, puis rejetés sur le rivage à quelque distance au nord. On fut les chercher, et on s’occupa activement de les remettre en bon état. Ces divers travaux remplirent tout le mois de juillet. Dans cet intervalle, la température fut variable comme de coutume ; la neige et la pluie tom-