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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

baient tour à tour ; à terre, la première se fondait insensiblement, et des torrens pittoresques se précipitaient des ravins et des falaises de la côte dans la mer ; mais celle-ci, aussi loin que la vue pût s’étendre, n’offrait qu’une masse solide de glace sans aucune apparence d’eau nulle part. Dans les premiers jours d’août, cependant, la glace se brisa subitement près du rivage, laissant assez d’espace aux canots pour pouvoir naviguer. Tout était préparé pour profiter du premier instant favorable, et l’on s’embarqua sans retard. Entre le lieu où le Fury avait fait naufrage, et le détroit de Lancastre et Barrow, il n’existe qu’une faible distance d’environ vingt lieues, et cependant l’équipage du Victory mit un mois à la franchir. Outre les dangers ordinaires dont nous avons trop souvent entretenu nos lecteurs pour y revenir ici, il eut à en courir d’une nouvelle espèce. Forcé à chaque instant par les glaçons, de descendre à terre et d’y hâler les canots, il lui arriva souvent de n’avoir pour lieu de refuge qu’une grève étroite dominée par des falaises à pic de quatre à cinq cents pieds de haut, d’où se précipitaient des fragmens de rochers détachés de la terre par la fonte des neiges qui avait ramolli le sol. Le 1er septembre, le capitaine Ross gravit une montagne élevée qui forme l’extrémité nord-est de la presqu’île de Boothia, et par conséquent du continent américain dont cette presqu’île fait partie. De ce point on apercevait distinctement la côte opposée de la passe du Prince-Régent, et le rivage septentrional du détroit de Lancastre. La passe et le détroit étaient couverts à perte de vue d’une couche immobile de glace et présentaient le même aspect qu’en 1818, lors du premier voyage du capitaine Ross. La saison médiocrement avancée laissait cependant encore quelque espoir de voir cette barrière livrer enfin un passage, et le mois de septembre se passa tout entier dans cette attente. L’expédition n’avait jamais autant souffert du froid. Elle n’avait pu emporter la quantité de vêtemens nécessaire, et la constitution affaiblie des hommes les rendait plus sensibles qu’auparavant aux impressions de la température. On observa dans cette circonstance un fait physiologique déjà remarqué dans des situations analogues, à savoir que l’affaissement de l’énergie morale prédispose singulièrement le corps à percevoir la sensation du froid. Ce mois de septembre fut d’ailleurs plus sévère qu’aucun de ceux que l’équipage avait passés dans ces régions.

Tout espoir de délivrance étant perdu pour cette saison, il fallut retourner, pour y passer l’hiver, à l’endroit où le Fury avait fait naufrage. L’expédition y arriva le 7 octobre. La maison construite deux mois auparavant fut protégée contre le froid à peu près comme l’avait été le Victory ; un mur de neige fut construit à l’entour, et l’on prit les mêmes moyens que par le passé pour l’échauffer à l’intérieur. Le service fut organisé sur le même