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des merveilles accumulées de la nature et de l’histoire, et il vous jette en Allemagne.

La Germanie moderne offre au voyageur la même variété de peuples que la Grèce antique. Les contrastes affluaient dans cette Grèce étendant ses limites jusqu’à la chaîne de l’Œta et du Pinde, dessinant la presqu’île du Péloponèse, associant l’Attique, la Mégaride, la Béotie, la Phocide, et semant ses îles sur les mers. À Sparte, on parlait la même langue qu’à Athènes, mais la constitution et la république ne se ressemblaient pas ; la Grèce du nord se comportait autrement que les villes de la mer Égée, et Thessaliotis avait d’autres règles, d’autres coutumes, que Délos. Cependant une vaste et profonde analogie de mœurs religieuses et nationales soutenait toutes les diversités qui s’agitaient à la superficie ; la Grèce se sentit une vis-à-vis de l’Asie ; la civilisation italique, plus rapprochée de la sienne, concourait néanmoins à lui affirmer à elle-même son originalité.

Ainsi l’Allemagne se trouve une entre la France et la Russie ; mais, au dedans d’elle-même, elle a peine à saisir sa propre unité. Le Souabe frémit à la pensée de subir jamais le joug du Brandebourgeois ; Munich se raille de Berlin qui lui renvoie avec usure ses dédains et ses mépris. Cependant on parle la même langue depuis la riante Bade jusqu’à l’austère Kœnigsberg. Quand, dans la guerre du Péloponèse, Alcibiade alla porter ses conseils et ses talens aux Lacédémoniens, il agit comme un général prussien qui passerait aux intérêts de l’Autriche ou de la Bavière dans une guerre intestine de l’Allemagne.

J’entreprends de donner une expression concise et vraie à ces choses si diverses : puissé-je les écrire aussi sincèrement que j’ai cru les sentir !

Francfort est comme les Propylées de l’Allemagne. Ç’a été la route des Francs pour entrer dans les Gaules ; c’est aujourd’hui le passage traversé en tous sens par les voyageurs de l’Europe. Ville allemande, Francfort semble néanmoins appartenir à tout le monde ; on y entre, on en sort comme d’un lieu public dont la propriété n’est à personne ; on s’y coudoie, on s’y rencontre, Anglais, Américains, Russes, Allemands, Polonais, Italiens, Français ; on se sert de cette ville comme d’une hôtellerie.