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nich ne vit dans les propositions de la Prusse à quelques petits états qu’une mesure de police. Depuis deux ans seulement, il a compris que la monarchie de Frédéric poussait doucement la monarchie de Marie-Thérèse en dehors de la solidarité germanique.

Au congrès de Vienne, l’empereur François ne put accepter le titre d’empereur d’Allemagne que lui demandaient de reprendre quelques anciennes maisons de l’empire : il n’aurait jamais obtenu le consentement de la puissance nouvelle qui affecte le protectorat de l’unité allemande. Il y a un siècle, Voltaire écrivait à Frédéric (5 août 1758) : « Il faut que votre altesse royale pardonne une idée qui m’a passé par la tête plus d’une fois. Quand j’ai vu la maison d’Autriche prête à s’éteindre, j’ai dit en moi-même : Pourquoi les princes de la communion opposée à Rome n’auraient-ils pas leur tour ? ne pourrait-il se trouver parmi eux un prince assez puissant pour se faire élire ? La Suède et le Danemarck ne pourraient-ils pas l’aider ? Et, si ce prince avait de la vertu et de l’argent, n’y aurait-il pas à parier pour lui ? Ne pourrait-on pas rendre l’empire alternatif comme certains évêchés qui appartiennent tantôt à un luthérien, tantôt à un romain ? Je prie votre altesse royale de me pardonner ce tome de Mille et une Nuits. »


Cum canerem reges et prælia, Cynthius aurem
Vellit et admonuit.


Aujourd’hui la monarchie de Frédéric ne considère plus comme un rêve le projet de dominer l’Allemagne, abandonnant au temps le soin de consommer son ouvrage et sa puissance : les noms des choses sont les secrets de Dieu révélés par le temps. Le titre d’empereur est vieux ; il est d’ailleurs attaché à la profession de foi catholique, et la force de la Prusse est de représenter le génie du protestantisme.

Jamais un grand empire ne s’est trouvé dans une situation plus délicate : la Prusse a du fer et pas assez d’argent ; intelligente, elle craint la liberté ; savante, elle redoute l’application de la science et des idées aux destinées humaines ; elle défend l’indépendance religieuse, et poursuit de rigueurs implacables l’indépendance politique ; elle est pressée entre l’Autriche, la Russie et la France ; du fond du Brandebourg, elle pousse aujourd’hui ses frontières