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auparavant. Vous avez changé mon ame, il fallait donc aussi changer mon sort !

Geneviève fit tous les apprêts de son départ avec l’ordre et la précision qui lui étaient naturels. Quiconque l’eût vue arranger tout son petit bagage de femme et d’artiste, et tapisser d’ouate la cage où devait voyager son chardonneret favori, l’eût prise pour une pensionnaire allant en vacances. Son cœur était cependant dévoré de douleur sous ce calme apparent. Elle ne se laissait aller à aucune démonstration violente, mais personne ne recevait des atteintes plus profondes ; son ame rongeait son corps, sans tacher sa joue ni plisser son front.

Le lendemain, à sept heures du matin, Geneviève, tristement cahotée dans la patache de Guéret, quitta le pays. Il n’y eut ni amis, ni larmes, ni petits soins à son départ. Elle s’en alla seule, comme elle avait long-temps vécu. Ne s’inquiétant ni de la misère ni de la fatigue, se fiant à elle-même pour gagner son pain, ne demandant secours à personne, ne se plaignant de rien, mais emportant au fond de son ame une plaie incurable, le souvenir d’une espérance morte à jamais pour elle.

Henriette remit la lettre à Joseph d’un air de suffisance et de magnanimité, auquel le bon Marteau ne fit pas attention. En voyant la signature de Geneviève, il se troubla, eut quelque peine à comprendre la lettre, la relut deux fois, puis, sans rien répondre aux questions d’Henriette, il se mit à courir et monta tout haletant l’escalier de Geneviève. La clef était à la porte ; il entra sans songer à frapper, trouva la première et la seconde pièce vides, et pénétra dans l’atelier. Il n’y restait, de la présence de Geneviève, que quelques feuilles de roses en batiste, éparses sur la table. Un autre que Joseph les eût tendrement recueillies : il les prit dans sa main, les froissa avec colère et les jeta sur le carreau en jurant. Puis il courut seller son cheval, et partit pour le château de Morand.

— Tout cela est bel et bon, mais Geneviève est partie !

C’est ainsi qu’il entama la conversation en entrant brusquement dans la chambre d’André. André devint pâle, se leva et retomba sur sa chaise, sans rien comprendre à ce que disait Joseph, mais frappé de terreur à l’idée d’une souffrance nouvelle. Joseph lui fit