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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/709

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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

vie tous les plaisirs qui faisaient ces hommes semblables les uns aux autres, flétri sagement du nom de vice tout ce qui les rendait heureux, par conséquent avides, jaloux, violens et insociables. Vous avez renoncé à votre part de richesse et de plaisir sur la terre, et vous étant ainsi rendus tels que vous ne pouviez plus exciter ni jalousie, ni méfiance, vous vous êtes placés au milieu d’eux comme des divinités bienfaisantes pour les éclairer sur leurs intérêts et pour leur donner des lois utiles. Vous leur avez dit que donner était plus beau que posséder, et là où vous avez commandé, la justice a régné ; quels sophismes pourraient combattre votre excellence, ô sublimes vaniteux ? Il n’y a rien au monde de plus grand que vous, rien de plus précieux, rien de plus nécessaire.

Allez et parlez de vertu ; un jour viendra où les sensualistes qui vous raillent, aux prises avec l’avidité et la vengeance de ceux qui jusqu’ici n’ont pu satisfaire les jouissances des sens, comprendront qu’il est un sort plus digne d’envie et plus à l’abri de l’orage que le leur ; ils comprendront que la raison populaire plane sur le monde, qu’elle a forcé la porte des boudoirs, qu’elle peut s’arroger le droit de jouir à son tour et de renvoyer les vaincus à la charrue, au toit de chaume et au crucifix, seule consolation du pauvre. Ils seront bienheureux alors de rencontrer, entre eux et la haine du vainqueur, la main de l’homme vertueux pour partager les biens de la terre entre le riche et le pauvre, et pour expliquer à tous deux ce que c’est que la justice.

Je ne sais s’il arrivera jamais un jour où l’homme décidera, infailliblement et définitivement ce qui est utile à l’homme. Je n’en suis pas à examiner, dans ses détails, le système que tu as embrassé ; j’en plaisantais l’autre jour, mais du moment que tu me forces à parler raison (ce qui, je te le déclare, n’est pas une médiocre victoire de ta force sur la mienne), je te dirai bien que la grande loi d’égalité et de partage, tout inapplicable qu’elle paraisse maintenant à ceux qui en ont peur, et tout incertain que me semble son règne sur la terre, à moi qui vois ces choses du fond d’une cellule, est la première et la seule invariable loi de morale et d’équité qui se soit présentée à mon esprit dans tous les temps, Tous les détails scientifiques par lesquels on arrive à for-