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muler une pensée me sont absolument étrangers, et quant aux moyens par lesquels on arrive à la faire dominer dans le monde, malheureusement ils me semblent tous tellement soumis aux doutes, aux contestations, aux scrupules et aux répugnances de ceux qui se chargent de l’exécution, que je me sens pétrifié par mon scepticisme quand j’essaie seulement d’y porter les yeux et de voir en quoi ils consistent. Ce n’est pas mon fait. Je suis de nature poétique et non législative, guerrière au besoin, mais jamais parlementaire. On peut m’employer à tout en me persuadant d’abord, en me commandant ensuite ; mais je ne suis propre à rien découvrir, à rien décider. J’accepterai tout ce qui sera bien. Ainsi, demande mes biens et ma vie, ô Romain ! mais laisse mon pauvre esprit aux sylphes et aux nymphes de la poésie. Que t’importe ? tu trouveras bien assez de têtes qui voudront délibérer plus qu’il ne sera besoin. Ne sera-t-il pas permis aux ménestrels de chanter des romances aux femmes, pendant que vous ferez des lois pour les hommes ?

Voilà où j’en voulais venir, Éverard ; c’est à te dire que la vertu n’est pas nécessaire à tous, mais à quelques-uns seulement ; ce qui est nécessaire à tous, c’est l’honnêteté. Sois vertueux, je tâche d’être honnête. L’honnêteté, c’est cette sagesse instinctive, cette modération naturelle, dont je parlais tout-à-l’heure, cette absence de vices, c’est-à-dire de passions fougueuses, nuisibles à la société, en ce qu’elles tendent à accaparer les sources de jouissances réparties également entre les hommes dans les desseins de la nature providentielle. Il faut que les gouvernés soient honnêtes, tempérans, probes, moraux enfin, pour que les gouvernans puissent bâtir sur leurs épaules fermes et soumises un édifice durable. Je suis loin encore de ce qu’on appelle les vertus républicaines, de ce que j’appellerai, en style moins pompeux, les qualités de l’individu gouvernable, ou du citoyen. J’ai mal vécu, j’ai mal usé des biens qui me sont échus, j’ai négligé les œuvres de charité, j’ai vécu dans la mollesse, dans l’ennui, dans les larmes vaines, dans les folles amours ; dans les vains plaisirs. Je me suis prosterné devant des idoles de chair et de sang, et j’ai laissé leur souffle enivrant effacer les sentences austères que la sagesse des livres avait écrites sur mon front dans ma jeunesse ; j’ai permis à leur