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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/712

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REVUE DES DEUX MONDES.

c’est un prisonnier échappé et blessé qui peut guérir et faire encore un bon soldat. Ne vois-tu pas que je n’ai rapporté aucun vice de la terre d’Égypte, et que je suis encore sobre et robuste pour traverser le grand désert ? Regarde seulement à qui tu parles maintenant ; ce n’est plus à un efféminé et à un prodigue ; ce n’est plus à un de ces jeunes Athéniens à chevelure parfumée qu’Aristophane châtiait en les interpellant au milieu de ses drames, et qu’il livrait, en les désignant par leur nom et en les montrant du doigt, à la censure publique ; c’est à une espèce de garçon de charrue, coiffé d’un chapeau de jonc, vêtu d’une blouse de roulier, chaussé de bas bleus et de souliers ferrés. Ce pénitent rustique est encore capable, comme toi, de tempérance, de charité, de travail, de constance, de désintéressement et de simplicité ; il sera en outre chaste et sincère, parce qu’il abdique sa grande folie, l’amour !

République, aurore de la justice et de l’égalité, divine utopie, soleil d’un avenir peut-être chimérique, salut ! rayonne dans le ciel, astre que demande à posséder la terre. Si tu descends sur nous avant l’accomplissement des temps prévus, tu me trouveras prêt à te recevoir, et tout vêtu déjà conformément à tes lois somptuaires. Mes amis, mes maîtres, mes frères, salut ! mon sang et mon pain vous appartiennent désormais, en attendant que la république les réclame. Et toi, ô grande Suisse ! ô vous, belles montagnes, ondes éloquentes, aigles sauvages, chamois des Alpes, lacs de cristal, neiges argentées, sombres sapins, sentiers perdus, rochers terribles ! ce ne peut être un mal que d’aller me jeter à genoux, seul et pleurant, au milieu de vous. La vertu ni la république ne peuvent défendre à un pauvre artiste chagrin et fatigué d’aller prendre dans son ame le calque de vos lignes sublimes et le prisme de vos riches couleurs. Vous lui permettrez bien, ô échos de la solitude, de vous raconter ses peines ; herbe fine et semée de fleurs, vous lui fournirez bien un lit et une table ; ruisseaux limpides, vous ne retournerez pas en arrière quand il s’approchera de vous ; et toi, botanique, ô sainte botanique ! ô mes campanules bleues qui fleurissez tranquillement sous la foudre des cataractes ! ô mes panporcini d’Oliero que je trouvai endormis au fond de la grotte, et repliés dans vos calices, mais qui, au bout d’une heure, vous éveillâtes autour de moi comme pour me regar-