Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/766

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
760
REVUE DES DEUX MONDES.

d’obtenir son obéissance en ayant l’air de lui obéir. On conçoit bien, en effet, comment la souveraineté du peuple ou le bon sens du plus grand nombre est le meilleur guide au milieu des soins habituels qui absorbent les États-Unis. Ce bon sens nous suffirait aussi dans la vie municipale et dans nos plus simples affaires ; mais que peut-il dans la recherche d’une loi morale ? L’ignorance, multipliée par elle-même, ne donnera jamais la vérité, et la science ne peut venir que des savans. Aussi, le premier qui prétend savoir, se pose. Il devient chef d’école, théocrate ou dictateur, selon l’étendue et la bonne volonté de son auditoire.

Tandis que la démocratie américaine se renferme dans la pratique et l’expérience, la démocratie européenne ne procède que par esprit de secte ou par insurrection. Or, les sectes sont sujettes à délirer, quoiqu’elles donnent quelquefois un salutaire mouvement aux discussions et recommandent des principes utiles, à travers leurs paradoxes.

Ce sont les voiles du navire. Le gouvernail exige un autre emploi.

On trouve assurément, dans nos lois civiles, un fonds de positive démocratie, heureux débris de nos désastres, un état normal en apparence inaccessible aux réformes des sectes. Il n’y a rien de si commode que de s’en tenir ainsi aux résultats obtenus, de suivre le courant des incertitudes de la majorité, sans rien entreprendre au-delà, de considérer enfin comme définitif ce qui a pour soi la force du pouvoir. Mais il faut être bien aveugle pour admettre que cette démocratie matérielle puisse se passer d’une ame ; que le gouvernement n’ait pas besoin de sentiment populaire et de grandeur, d’institutions morales, d’esprit de cité, et d’une extension graduelle des droits du pays proportionnée aux progrès de notre commune éducation.

À défaut de ceux qui gouvernent, les esprits ardens ont repris les problèmes de notre première révolution. Démocratie conventionnelle, fédéraliste, bonapartiste, légitimiste, saint-simonienne ou ultra-chrétienne, catholique ou néo-millénaire, phalanstérienne, graduelle et sociale, combien n’avons-nous pas d’écoles diverses dont la simple énumération paraîtrait fort bizarre aux États-Unis, où l’on ne voit à peu près qu’une seule opinion démocratique !

La tâche présente qui nous est imposée est plus vaste, plus difficile aussi, que celle des Américains, puisque elle embrasse toutes les questions religieuses, morales et politiques. Pour refaire ou réparer les croyances dont ils se contentent, nous avons des loisirs particuliers, et surtout une résolution qui nous est propre. Notre démocratie, beaucoup moins expérimentée que la leur, est douée d’un instinct plus large.

Mais ne sont-ils vraiment destinés qu’à défricher un territoire de deux