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min, et vous voyant si près de moi, je n’ai pu me dispenser de vous souhaiter le bonjour.

— Sans doute, dit le marquis, vous ne pouviez pas vous en dispenser d’autant plus que cela ne vous coûtait pas beaucoup de peine.

Joseph secoua la tête avec cet air de bonhomie qu’il savait parfaitement prendre quand il voulait.

— Tenez, voisin, dit-il (je vous demande pardon, je ne peux me déshabituer de vous appeler ainsi), nous ne nous comprenons pas, et puisque vous voilà, il faut que je vous dise ce que j’ai sur le cœur. J’étais bien résolu à n’avoir jamais cette explication avec vous ; mais quand je vous ai vu là, avec cette brave figure, que j’avais tant de plaisir à rencontrer quand je n’étais pas plus haut que mon fusil, ç’a été plus fort que moi, il a fallu que je misse mon dépit de côté, et que je vinsse vous donner une poignée de main. Touchez là. Deux honnêtes gens ne se rencontrent pas tous les jours dans un chemin, comme on dit.

La grosse cajolerie avait un pouvoir immense sur le marquis : il ne put refuser de prendre la main de Joseph ; mais en même temps il le regarda en face d’un air de surprise et de mécontentement.

— Qu’est-ce que cela signifie ? dit-il ; vous prétendez avoir du dépit contre moi, et vous avez l’air de me pardonner quelque chose, quand c’est moi qui…

— Je sais ce que vous allez dire, voisin, interrompit Joseph, et c’est de cela que je me plains ; je sais de quoi vous m’accusez, et je trouve mal à vous de soupçonner un ami sans l’interroger.

— Sur quoi, diable ! voulez-vous que je vous interroge, quand je suis sûr de mon fait ? N’avez-vous pas emmené mon fils sous mes yeux, pour le conduire à la recherche de cette folle, qui, sans vous, s’en allait à Guéret et ne revenait peut-être plus ? N’avez-vous pas été compère et compagnon dans toutes ces belles équipées ? N’avez-vous pas conseillé à André de m’insulter et de me désobéir ? N’avez-vous pas donné le bras à la mariée le jour de cet honnête mariage ? Répondez à tout cela, Joseph, et interrogez un peu votre conscience ; elle vous dira que je devrais retirer ma main de la vôtre, quand vous me la tendez.