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ANDRÉ.

condition qu’il ne me demandera jamais un sou, et qu’il me signera un abandon de son héritage maternel.

— Vous êtes un bon père, marquis, et certainement je n’en ferais pas tant à votre place ; mais je crains qu’André, qui a perdu la tête, ne montre en cette occasion une exigence plus grande que vos bienfaits : il vous demandera une pension.

— Une pension ! jour de Dieu !

— Ah ! je le crains. Une petite pension viagère.

— Viagère encore ! Qu’il ne s’y attende pas, le misérable ! Je me laisserai couper par morceaux plutôt que de donner de l’argent : je n’en ai pas ; je jure par tous les saints que je ne le peux pas. Qu’il vienne me chasser de ma maison, et vendre mes meubles, s’il l’ose.

Joseph ne voulut pas aller plus loin ce jour-là : il crut avoir déjà fait beaucoup en arrachant la promesse d’une espèce de réconciliation ; il savait que c’était ce qui ferait le plus de plaisir à Geneviève, et il espéra qu’une nouvelle tentative sur le marquis pourrait l’amener à de plus grands sacrifices : il voulut donc laisser à cette première négociation le temps de faire son effet, et il prit congé du marquis avec force louanges ironiques sur sa magnanimité, et en lui promettant de porter sa généreuse proposition aux insurgés.

xviii.

Le bon Joseph retourna à la ville d’un pied leste et le cœur léger. Arriver vers des amis malheureux, et leur apporter une bonne nouvelle à laquelle ils ne s’attendent pas, c’est une double joie. Il trouva Geneviève seule, et contemplant, à la lueur de sa lampe, une branche artificielle de boutons de fleurs d’oranger. Il était entré sans frapper, comme il lui arrivait souvent de le faire par précipitation et par étourderie ; il entendit Geneviève qui parlait seule et qui disait à ces fleurs : « Bouquet de vierge, j’ai été forcée de te porter le jour de mon mariage ; mais je t’ai profané, et mon front n’était pas digne de toi : j’étais si honteuse de ce sacrilége, que je