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t’ai caché bien avant dans mes cheveux, que je t’ai couvert de mon voile. Cependant tu ne t’es pas effeuillé sur ma tête : pour t’en remercier, je veux t’emporter dans ma tombe. »

— Qu’est-ce que vous dites, Geneviève ! dit Joseph épouvanté de ces paroles qu’il comprenait à peine.

Geneviève fit un cri, jeta le bouquet, et devint pâle et tremblante.

— Je vous apporte une bonne nouvelle, dit Joseph en s’asseyant à son côté : André est réconcilié avec son père ; le marquis est réconcilié avec vous ; il vous attend ; il veut vous avoir tous deux, tous trois près de lui.

— Ah ! mon ami, dit Geneviève, ne me trompez-vous pas ? comment le savez-vous ?

— Je le sais, parce qu’il me l’a dit, parce que je viens de le quitter, et que je lui ai fait donner sa parole.

— Ah ! Joseph ! répondit Geneviève, embrassez-moi ; grâce à vous, je mourrai tranquille.

— Mourir ! dit Joseph, en l’embrassant avec une émotion qu’il eut bien de la peine à cacher ; ne parlez pas de cela, c’est une idée de femme enceinte ; où est André ?

— Il se promène tous les soirs aux bords de la rivière, du côté des couperies.

— Pourquoi se promène-t-il sans vous ?

— Je n’ai pas la force de marcher ; et puis nous sommes si tristes, que nous n’osons plus rester ensemble.

— Mais vous allez vous égayer, de par Dieu ! dit Joseph ; je vais le chercher et lui apprendre tout cela.

— Il courut rejoindre André ; celui-ci fut moins joyeux que Geneviève, à l’idée d’un rapprochement entre lui et son père. Il désirait le voir, obtenir son pardon, l’embrasser, lui présenter sa femme, et rien de plus. Demeurer avec lui était un projet qui l’effrayait extrêmement. Au milieu de ses hésitations et de ses répugnances, Joseph fut frappé de l’indolence et de l’inertie avec laquelle il envisageait sa position et la pauvreté où se consumait Geneviève.

— Malheureux ! lui dit-il, tu ne songes donc pas que l’important n’est pas de jouer une scène de comédie sentimentale, mais d’avoir du pain pour ta femme et l’enfant qu’elle va te donner ? Il faut bien