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couverte de dentelles et de gaze, un souvenir, un mot de la révolution de juillet. M. de Metternich est content de vous. Il veut vous voir ; il vous prend à part. Il vous dit que l’Autriche est mal jugée, et vous explique comme elle est sage, comme elle est forte, voire même libérale, cette Autriche que les journalistes français se plaisent à dénaturer. Vous sortez de là ébloui, subjugué par le tableau que vient de vous tracer le premier ministre, et en rentrant chez vous, vous trouvez, pour dernière preuve de la richesse et de l’esprit généreux et éclairé de l’Autriche, un panier de vin de Joannigsberg (de ce vin dont le congrès de Vienne a assuré la propriété à M. de Metternich, et qui se vend jusqu’à vingt-cinq et trente francs la bouteille en Allemagne), un brevet en règle d’un ordre assez connu, et quelque ouvrage rare sur le pays. Ce n’est là peut-être qu’une supposition ; mais si tout cela se réalisait, l’Autriche, ainsi vue à travers ce prisme, ne serait-elle pas un pays merveilleux, un véritable Eldorado ?

Or, vous savez ce que c’est que l’Autriche, et comme état puissant, compacte, et comme pouvoir sage et durable, deux grandes qualités que M. Saint-Marc Girardin lui attribue. L’empire autrichien se compose d’élémens tout hétérogènes, entre lesquels il n’y a jamais eu ni alliance complète, ni fusion. C’est la Bohême, cette vieille nation slave, qui est restée slave au milieu de l’Allemagne, qui, pareille à la Jérusalem déchue, se souvient de ses gloires d’autrefois, et regarde avec ambition et douleur sa royale ville de Prague et son Hradschin ; c’est la Pologne, qui garde encore le reste de couronne murale qu’elle a portée, et le tronçon du glaive qui s’est brisé entre ses mains ; c’est la Hongrie, où les fiers magnats votent encore dans leurs assemblées en agitant leurs sabres ; la Hongrie, où les priviléges nobiliaires révoltent le peuple, tandis que les exigences impériales fatiguent cette vieille et orgueilleuse noblesse ; c’est le Tyrol, où l’on ne retrouverait peut-être pas un second André Hofer, car le sang du premier n’a pu féconder les racines de l’absolutisme, mais bien celles de la liberté ; c’est l’Italie, cette reine tombée qui cherche un diadème sur son front, et qui n’y trouve qu’une plaie ; qui se surprend encore à vouloir brandir sa noble épée, et qui ne soulève que des chaînes ; qui regarde vers la mer comme pour voir si elle ne lui amène pas, ainsi qu’aux temps anciens, de riches cargaisons ou des flottes victorieuses, et qui l’entend se plaindre de son abandon et de son veuvage.

Sont-ce là des bases bien solides pour leur confier en toute sûreté l’avenir d’un état ? Sont-ce là des élémens de durée, des membres qu’il soit si facile de rejoindre pour en former un tout imposant, complet, harmonieux ?

L’Autriche ne le sent que trop peut-être ; et voilà pourquoi elle main-