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lit. Il hésitait à venir se replacer en face de ces accusés traînés à l’audience par vingt gendarmes, frappés et tourmentés sur leurs bancs en présence de la pairie qui se flétrit en assistant à cette torture. Dans une des dernières séances, on a vu des juges se lever sur leurs sièges, et exciter les gardes municipaux à la violence ; nous pourrions en citer un ou deux qui accompagnaient ces invitations de termes que le corps-de-garde envierait à la cour des pairs. La presse a recueilli ces faits, et ils n’ont pas été contredits ; d’ailleurs on sait que la presse a lieu d’être circonspecte à l’égard de la pairie qui a montré plus que de la sévérité envers elle. Dans cet état de choses, les esprits sains de la chambre, et dans ce nombre nous comptons M. Pasquier, ont de nouveau cherché les moyens de mettre un terme à ces violences qui semblent devoir augmenter chaque jour. La proposition de renvoyer à la session prochaine pour obtenir une loi de procédure, a été remise sur le tapis ; mais il a été impossible de s’entendre. M. Pasquier sommé par le ministère, au nom de la paix publique et de la royauté, de reprendre les rênes du procès, s’est levé piteusement de son lit de malade, et demain il se remettra à ses rudes et pénibles fonctions. On s’attend chaque jour à la retraite de M. Molé et de ses amis, qui ne peuvent assister long-temps à des scènes semblables à celles qui se sont passées, sans dévier de leurs principes. Mais n’importe, le procès continuera. M. Guizot a déclaré, dit-on, qu’il le mènerait à fin, ne restât-il que dix juges. M. Guizot a raison, dix juges suffisaient bien à Venise pour condamner des populations entières, pourquoi dix juges ne suffiraient-ils pas à Paris ?

L’intervention est comme le procès. On s’y engage chaque jour un peu plus, sans bien savoir où l’on ira. On a débuté, il est vrai, par une timidité extrême. Tandis que l’Angleterre publiait la suspension du bill d’enrôlement, le Moniteur se bornait à ouvrir les bureaux de M. Persil aux volontaires de l’armée d’Espagne. Peu à peu on s’est avancé davantage, et les articles belliqueux du Journal des Débats ont surgi comme une menace dirigée contre la majorité du ministère. La France paiera la solde de la légion étrangère, la France donnera des officiers-généraux, elle enverra le long des côtes d’Espagne trois vaisseaux de ligne et sept ou huit frégates. Voilà déjà de grandes concessions faites au parti de l’intervention, c’est-à-dire à M. Thiers, car ni le roi, ni le maréchal Maison, ni le duc de Broglie, ni M. Guizot ne sont pour l’intervention. Le roi la combat toujours avec la même énergie ; le maréchal jure qu’une intervention déguisée est absurde, et qu’une intervention avouée est folle. M. de Broglie s’est prononcé hautement dès le commencement de cette affaire, et le silence obstiné et prolongé de M. Guizot en dit plus que toutes les paroles.