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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/121

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REVUE. — CHRONIQUE.

Généralement, on sait peu de gré à M. Thiers d’avoir ainsi fait intervenir le Journal des Débats dans l’affaire de l’intervention, et vienne un instant favorable, on lui fera sentir toute la légèreté de sa conduite. Les familiers du château ont déjà remarqué sur la figure du maître les signes d’impatience et d’ennui qui se manifestent souvent au nom de M. Thiers, et quelles que soient l’obséquiosité et l’adulation du ministre auprès des gens de guerre et des hommes de l’empire, le maréchal Maison s’explique assez nettement pour laisser voir le peu de cas qu’il fait de son petit et remuant collègue. En un mot, on est las de M. Thiers, on voudrait s’en débarrasser honnêtement, et M. Guizot, qui se pique à son égard d’une fidélité vraiment platonique, a peine à déguiser le plaisir que lui causerait la retraite de son jeune ami. Pour M. Thiers, il s’inquiète fort peu de ces symptômes, ou plutôt il ne les voit pas, et avec sa présomption ordinaire, il se flatte de faire dominer le principe de l’intervention, de vaincre le roi, et d’arriver, en passant sur le corps de tous ses collègues, à la présidence du conseil. On ne peut, au reste, se figurer l’enivrement de M. Thiers. Entouré d’une petite cour qui le flatte et l’admire, choyé dans sa maison de campagne par les femmes, par les artistes, par tout ce qui dépend de lui, il se montre rarement au ministère et traite les affaires avec un mépris tel qu’il daigne à peine entendre les rapports verbaux de ses chefs de division. M. Thiers en est venu à ce point qu’il répondait dernièrement à un ex-fonctionnaire qui réclamait de lui un peu vivement l’exécution de sa parole, et qui invoquait la sainteté d’un engagement formel : « Monsieur, je donne des espérances, mais je ne fais pas de promesses. » Napoléon, dans tout l’éclat de son despotisme, ne se fût pas permis une réponse aussi outrecuidante.

Notre bon et célèbre Béranger peut apporter un douloureux témoignage de ce que nous avançons. En apprenant que M. Thiers avait donné l’ordre de transférer M. Trélat à Clairvaux, il se rendit auprès de M. Thiers, sans autre mission que celle qui lui était donnée par l’intérêt qui s’attache à l’infortune. M. Thiers a dû à Béranger et à feu Manuel l’amitié profitable dont l’honora autrefois M. Laffitte. Il devint ainsi propriétaire d’une demi-action du Constitutionnel, et c’est en quelque sorte sous la main protectrice de Béranger que s’élevèrent les fondemens de cette fortune qui a tant grandi depuis quelque temps. Béranger pria donc M. Thiers de se rappeler Magalon et l’indignation que lui, M. Thiers, avait ressentie en apprenant le traitement indigne infligé à cet écrivain par M. Corbière. Il ajouta que, sous la restauration même, ses chansons ayant été jugées coupables et l’auteur condamné à la prison, la prison avait été douce et honorable, et que personne n’avait songé à envoyer le chansonnier séditieux à Poissy