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REVUE. — CHRONIQUE.

proximité d’une ferme ou d’un jardin, et que leur multiplication semble dépendre de l’influence directe de l’homme. J’ai entendu dire qu’à une certaine distance de la limite des terres habitées, il est bien rare d’en rencontrer un seul essaim. Les abeilles ont été en Amérique les hérauts de la civilisation, annonçant constamment, par leur émigration dans de nouvelles contrées, la marche des Européens, Il est certains colons de l’ouest qui ont la prétention de déterminer d’une manière précise l’époque où la première abeille traversa le Mississipi. Quel fut l’étonnement des Indiens, lorsqu’ils commencèrent à s’apercevoir que les troncs de leurs vieux arbres exhalaient un parfum d’ambroisie ! Rien ne saurait surpasser, ai-je ouï dire, les délices du banquet où ils goûtèrent, pour la première fois, un mets dont la saveur leur était inconnue, et qui ne leur avait coûté ni apprêt, ni peine, ni péril ?

« Aujourd’hui les abeilles pullulent par myriades dans les magnifiques forêts qui traversent les Prairies ou qui bordent les rivières. Il me semble que ces contrées répondent merveilleusement à l’idée que nous avons de la terre promise « où coulaient des sources de lait et de miel ; » car, tandis que les abeilles expriment le suc des fleurs qui croissent dans les champs, les riches pâturages nourrissent des troupeaux aussi nombreux que les grains de sable du désert. »

On aime à suivre dans ces lieux enchantés la marche de nos voyageurs. On partage leur joie, lorsqu’ils s’empressent de recueillir le miel que le hasard offre ainsi à leur avidité ; on partage aussi leurs alarmes, lorsqu’il survient pour eux quelque accident sinistre. Que d’embarras ils éprouvent dans le déplacement et la surveillance de leurs camps, dans le transport de leurs tentes, dressées tantôt auprès d’une forêt, tantôt au bord d’une rivière, tantôt au milieu d’une plaine qui semble sans limite ! Mais à leurs peines même se mêle toujours une secrète jouissance. Après le repas splendide qu’ils doivent au succès de la chasse, ils savent supporter la faim ; après s’être abreuvés à une source pure, ils se résignent à boire une eau presque fétide ; après une journée de fatigue, le sommeil de la nuit, au pied d’un arbre, a pour eux des douceurs infinies ; ils vivent dans un perpétuel contraste ; mais ce qui surtout les inspire et agrandit leur ame, c’est la contemplation de la nature. « Il y a, dit Irving, dans la solitude d’une prairie, quelque chose d’inexprimable qui jette dans l’ame un vague sentiment d’admiration et d’effroi, La solitude d’une forêt ne saurait en donner une idée : là où les arbres bornent votre vue, votre imagination peut à son gré se créer une brillante perspective ; mais là où l’horizon seul arrête vos regards, vous n’avez que la conscience de votre isolement, et l’absence de toute trace humaine vous plonge dans une