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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/145

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PORTRAITS DE ROME.

les habitans d’une contrée qui ne profite pas de ses richesses. Il s’écrie : « Ô liberté ! déesse brillante… la pauvreté te sourit, et tu égaies la face lugubre de la nature. Tu donnes la beauté au soleil et le plaisir au jour. C’est toi, déesse, qu’adore l’île de Bretagne. Combien de fois, pour toi, elle a épuisé ses trésors, combien de fois elle t’a cherché sur les champs de bataille, et n’a pas cru payer trop chèrement ta présence au prix de son sang ! »

Ce noble orgueil de la liberté en présence de la servitude, ce culte du pays en présence de l’étranger, enfin, l’Anglais à Rome, fier de n’être pas Romain, tout cela a produit, depuis Addison, des redites sans fin, et des exagérations révoltantes ; mais alors, dans le moment qui suivait la victoire, et où l’exaltation patriotique remplissait les ames, cette exaltation avait quelque chose de naturellement fier et de véritablement imposant ; et quand le poète, s’animant toujours davantage à la pensée de la Hollande défendue et de Louis xiv vaincu, dit en beaux vers : « Que d’autres charment la vue par de majestueux monumens, qu’ils se réjouissent dans l’orgueilleuse hauteur de leurs dômes, qu’ils étalent des touches plus délicates sur la toile ou fassent vivre le marbre… le soin de l’Angleterre, c’est de veiller sur le sort de l’Europe, de maintenir l’équilibre entre les puissances qui se combattent, de menacer de ses armes l’orgueil des rois présomptueux, et de secourir les alliés qui l’implorent ; » on éprouve je ne sais quelle joie involontaire en voyant un de ces Bretons, que Rome ne comptait pas dans son univers, lui renvoyer en face les paroles superbes que son poète jetait aux nations :


Excudant alii spirantia molliùs æra,
Tu regere imperio populos.


Le sage Addison s’élève pour un moment à un rôle sublime ; il parle en vengeur du monde.

L’aimable et mélancolique Thomas Gray vint à Rome vers le milieu du siècle, en compagnie du sec et hautain Horace Walpole. Gray n’a que les impressions du voyageur classique, mais chez lui elles tournent plus en poésie qu’en érudition ; cependant Gray n’était pas moins érudit qu’Addison, peut-être davantage ; son biographe nous apprend qu’il avait fait un catalogue de tous les pas-