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elle est partagée entre de vieilles habitudes et de modernes pensées. Combien long-temps les idées nouvelles doivent-elles vivre au milieu des formes antiques ? voilà la question qui est posée dans notre siècle. Sans doute le temps coule aujourd’hui plus vite ; ses flots sont plus rapides ; il entraîne toujours après lui, selon la parole de Fénelon, tout ce qui paraît le plus immobile. Mais même pour ces destructions et ces entraînemens, il y a des conditions nécessaires, et nous dirions volontiers qu’il faut laisser le temps au temps.

Si nous considérons la politique, nous voyons en Europe, en Angleterre, en France, en Allemagne, en Italie, les idées démocratiques se développer au sein des formes monarchiques et féodales : le travail des idées est de contracter au milieu de ces formes assez de vigueur et de maturité pour les abolir, les transformer, et en établir d’autres sur leurs débris. Qu’une idée véritablement forte, simple et vraie, ait la puissance de fonder quelque chose, l’histoire en témoigne ; mais ce travail est lent, et sa durée peut échapper aux prévisions de l’homme.

À Rome, les empereurs, en se transmettant le pouvoir et la pourpre, sont obligés de subir les dénominations républicaines de tribun et de consul, tant les vieilles formes sont lentes à périr !

À Rome, en Grèce, en Italie, dans l’Asie Mineure, le christianisme, après un siècle d’existence, n’a pas encore de culte ; il manque de sacerdoce, de gouvernement, tant les formes nouvelles sont lentes à naître !

Pendant cinq siècles, la société antique et la société nouvelle sont en présence et en lutte ; on se contredit, on se combat, mais on ne peut s’exterminer ; on dure ensemble, on attend le jugement du temps, qui donne toujours raison aux nouveautés destinées elles-mêmes à trouver dans une vieillesse future leur condamnation.

Aux XVIe et XVIIe siècles, le catholicisme et le protestantisme méditent leur ruine réciproque et sont obligés d’accepter leur existence parallèle. Aujourd’hui les idées démocratiques et les formes monarchiques luttent ensemble ; ni les formes anciennes ne peuvent étouffer les nouvelles idées, ni les idées nouvelles