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de ces deux puissances les compromettrait aussi dans la Méditerranée où la Turquie, couverte de la protection des escadres russes, essaierait bientôt de rentrer en possession de l’Égypte contre laquelle elle arme en ce moment. La Russie n’a jamais changé de rôle. Cette puissance est dans un état continuel et flagrant d’empiétement vis-à-vis de l’Europe ; et en cela elle exécute religieusement le testament de Pierre Ier, qui a laissé à ses successeurs pour devoir de s’étendre de plus en plus vers l’Orient, en détournant l’attention de l’Europe par des démonstrations menaçantes vers l’Occident. Mais l’Europe est trop instruite aujourd’hui pour être dupée par des façons arrogantes. Les hommes d’état de l’Angleterre, et le petit nombre de ceux qui méritent en France ce nom, connaissent le côté faible de la Russie ; ils savent le mot de cette faiblesse sans remède, et ce mot est pénurie d’argent. En ce moment, elle veut emprunter sur la Pologne ; elle cherche vainement à mettre ce malheureux pays en gage chez les juifs de Londres, de Paris ou d’Amsterdam ; mais heureusement la Russie n’a pas crédit à la Bourse où tout se voit sans illusion, où, en énumérant de grosses armées, on se demande, avant de s’effrayer de leurs baïonnettes, où sont les trésors et les revenus qui paieront tous ces soldats. Montecucioli, ce grand général qui fut, avec César, l’un des maîtres de Napoléon, a condamné d’avance la Russie à n’être pas une puissance conquérante, et la Russie s’est soumise à cet arrêt en ne cherchant point à améliorer ses finances, et en ne respectant pas ses engagemens financiers. Quand cette fière puissance tend la main à la maison Rothschild, celle-ci, toute portée qu’elle est à favoriser et à soutenir ses sœurs, les autres maisons souveraines, demande si, maîtresse de la Pologne depuis 1815, la Russie a payé la dette intérieure aux habitans du pays ; elle lui demande si elle a rempli l’engagement contracté envers la France par l’empereur Alexandre de payer les redevances des légionnaires polonais ; elle lui demande encore si elle n’a pas refusé de payer sa propre rente, émise en effets au porteur, à tous ceux qu’elle a jugé à propos de déclarer Polonais ; et si de la sorte elle ne pourrait pas se dispenser un jour de payer son emprunt nouveau, en déclarant que la maison Rothschild est israélite polonaise d’origine. C’est ainsi qu’on raisonne à la Bourse, où l’on raisonne bien quelquefois. Aussi l’emprunt russe-polonais ne se fera-t-il pas, et l’Europe, tout égoïste qu’elle est, et égoïste mal entendue, ne fournira pas cette fois le knout à la Russie pour se faire outrager et battre par elle.

La nouvelle démonstration de la Russie ne tiendra donc pas si la France seconde l’Angleterre ; elle ne tiendra même pas devant l’Angleterre seule, car déjà une tentative de ce genre, faite par l’empereur