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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/270

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REVUE DES DEUX MONDES.

le mange. » Quelques-uns lui parlaient de moines qui avaient eu l’honneur de s’entretenir avec Jésus-Christ ; de sainte Catherine qui lui avait été fiancée comme à un amant, et l’avait eu dans sa chambre, se promenant de long en large, et s’entretenant avec elle. On mettait un grand prix à s’emparer d’Érasme ; ses dispositions précoces promettaient un moine qui ferait honneur à sa robe. Dans le temps qu’il était agité d’incertitudes cruelles, il alla voir, dans un monastère voisin de la ville, un certain Cantelius dont il avait été le camarade d’enfance. C’était un jeune homme d’un esprit ferme et élevé, quoique ne pensant qu’à lui. Le goût du repos et de la table, et non la piété, l’avait fait entrer au couvent. Il était fort paresseux, peu curieux des lettres où il n’avait pas réussi, mais bon chanteur ; il s’y était appliqué dès le bas âge. Après avoir vainement cherché fortune en Italie, il avait pris la robe. Cantelius s’enflamma pour Érasme ; il l’exhorta vivement à faire comme il avait fait, lui vantant le couvent comme un lieu de tranquillité, de liberté, de concorde, où les anges vivaient avec les hommes, où l’on avait le repos et des livres pour en occuper les longues heures. C’était l’appât auquel devait mordre Érasme ; du repos et des livres, ce fut là le goût de toute sa vie. À entendre Cantelius, le couvent était le jardin des Muses. Érasme sortit fort ébranlé de ce premier entretien.

À peine rentré dans la ville, de nouvelles attaques l’attendaient. On lui montra ses amis irrités de son obstination, et leur amitié tournant à la haine, la misère et la faim qui l’attendaient dans le monde, le désespoir de toutes choses. Il revint voir son nouvel ami. Cantelius redoubla de soins, lui demanda la faveur de devenir son élève, et enfin le décida. Érasme, de guerre lasse, se réfugia dans le couvent, pour éviter les obsessions présentes, mais sans dessein de persévérer. Cantelius mit à profit la science du jeune homme ; ils passaient les nuits à lire en cachette les auteurs anciens, entre autres Térence, singulier poète pour un couvent. La santé d’Érasme en souffrait. Du reste, son esprit était assez tranquille ; il aimait cette égalité des frères ; on ne l’obligeait pas aux jeûnes, ni aux offices de nuit ; on ne lui demandait rien, on ne le grondait pour rien : le plan était que tout le monde lui sourît et