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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/273

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ÉRASME.

plaisantes ; il se souvenait des prières de nuit dans la chapelle, sous les voûtes froides, avec le frisson d’un sommeil interrompu, quand il se raillait de la fréquence et de l’exactitude des prières ; il se souvenait surtout de ces menaces entremêlées de caresses, et de ces obsessions, tantôt violentes, tantôt doucereuses, à l’aide desquelles on l’avait précipité dans des vœux éternels, quand il écrivait, contre les vœux monastiques, ces charmans colloques, si fins, si spirituels, si tempérés de prudence et de concessions, afin de ne pas effrayer les gens scrupuleux, si éloquens çà et là[1], qui rappellent la manière de certains dialogues de Voltaire.

Dans le colloque Virgo μισόγαμος (misogamos) (la vierge ennemie du mariage), qui est si clair et si touchant, malgré son titre grec, Eubulus εὖ ϐουή (eu boulê), l’homme de bon conseil, fait une promenade après dîner, avec Catherine, la jeune fille qui ne veut pas se marier. On est au printemps, dans la saison des fleurs ; Catherine est triste, la douce joie qui paraît répandue sur toute la nature n’est pas dans son cœur. Eubulus en veut savoir la cause. « Voyez cette rose, dit-il, dont les corolles se contractent à l’approche de la nuit ; tel est votre visage. » Catherine sourit : « Allez plutôt vous regarder dans cette fontaine, » continue Eubulus. Pourquoi donc Catherine est-elle triste ? Elle vient d’avoir dix-sept ans ; elle est belle, la santé brille sur son visage ; elle a une bonne réputation, de l’esprit, toutes les grâces de l’ame qui font valoir celles du corps ; ses parens sont de bonne maison, probes, riches, tendres pour leur fille ; Eubulus ne demanderait pas à Dieu une autre épouse, si son astre lui permettait d’y prétendre. « Et moi, dit Catherine, je ne voudrais pas d’un autre époux, si je ne haïssais pas le mariage. » D’où vient donc cette haine ? Catherine est engagée : à qui ? à Dieu. Dès sa plus tendre jeunesse, elle a rêvé d’être sœur dans un couvent de nonnes ; ses parens ont d’abord résisté à son penchant ; mais, à force de prières, de caresses, de larmes, elle a obtenu qu’on la laisserait libre, si, à dix-sept ans, elle y persistait encore. Ses dix-sept ans sont venus, mais voici que ses parens refusent de tenir leur promesse ; c’est là ce qui la rend triste ; elle en mourra, si on ne cède pas à ses vœux.

  1. Virgo μισόγαμος (misogamos). — Virgo pœnitens.