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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/286

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REVUE DES DEUX MONDES.

voisine, un jeune homme de noble maison, vêtu d’une riche chlamyde de pourpre. Érasme se sauve auprès de lui comme un fugitif à un autel : il ne savait pas la langue de ce peuple ; il demande au jeune gentilhomme, en latin, ce que lui veut cette foule. — « C’est à votre rabat qu’on en veut, dit le jeune homme ; tenez-vous pour sûr qu’on vous lapidera si vous ne l’ôtez pas ; profitez de l’avis. » Érasme n’osa pas l’ôter ; mais il le cacha sous son habit. Plus tard il sollicita de Jules ii d’être dispensé du costume de chanoine, pourvu qu’il se vêtît en ecclésiastique séculier ; Jules ii lui accorda cette dispense qui lui fut confirmée par Léon x.

Avant d’aller en Italie, Érasme avait fait plusieurs voyages en Angleterre. Il se louait beaucoup de ce pays, où il avait de bons amis, Colet, Linacer, Montjoye, Wentford, Fischer, Thomas Morus, tous hommes d’élite, quelques-uns amis particuliers du prince de Galles, Henri viii, qui devait plus tard les faire mourir par la main du bourreau. Érasme s’était fait aux mœurs de l’Angleterre ; il était devenu presque bon chasseur, cavalier passable, courtisan assez adroit, saluant avec grâce, et s’accoutumant au langage de cour, tout cela « malgré Minerve, » dit-il, c’est-à-dire malgré ses goûts pour la solitude studieuse, et la discussion si différente de la conversation, malgré sa gaucherie d’érudit et d’ecclésiastique s’essayant à des choses de laïc et d’homme à la mode. On sait ce qu’il a écrit des beautés britanniques, de ces nymphes « aux visages divins, caressantes, faciles, et que vous préféreriez à vos muses, » dit-il à un certain poète lauréat, Faustus Andrelinus ; et de « ces baisers si doux, si embaumés, » à travers lesquels il voyait l’Angleterre et la jugeait. C’est apparemment le souvenir de ces nymphes et de ces baisers qui le rendait si dur pour la France, jusqu’à dire au même Faustus, alors à Paris : « Comment un homme d’un nez si fin que vous se résignerait-il à vieillir dans les ordures de la Gaule ? » Je dis ordures, qui est le nom générique ; le latin désigne l’espèce[1].

Plus tard il se montra plus bienveillant, et sans doute plus juste pour la France. Il dit à Thomas Linacer : « La France me plaît tellement depuis mon retour, que je doute si j’ai plus de goût

  1. Quid te juvat hominem tàm nasutum inter merdas gallicas consenescere ?