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ceint d’une corde aux reins, dont le troupeau sale, superstitieux et violent, donne le cauchemar à Érasme. Ils se présentent devant la porte ; personne ne les salue ; l’aubergiste allemand est fier ; il ne voudrait pas avoir l’air de capter un hôte par des salutations. Le domestique d’Érasme demande du dehors, à haute voix, si l’on peut loger son maître et lui, et les deux chevaux ; point de réponse ; l’aubergiste rougirait de montrer de l’empressement. Nouvelle demande du domestique, qui cette fois frappe à la fenêtre de la salle des voyageurs. À la fin, une tête sort de cette fenêtre, comme une tortue de son écaille, regarde les deux voyageurs, et si elle ne dit pas non, cela équivaut à oui. Il faut que le voyageur soit son propre palefrenier. On indique une place pour les chevaux, et d’ordinaire, la plus incommode ; les bonnes sont réservées pour ceux qui doivent venir, et principalement pour les nobles. Si vous vous plaignez : « Cherchez une autre auberge, » vous dit-on. Les chevaux placés, les deux voyageurs entrent dans la salle commune, le maître et le domestique, les gens et les bagages. Chacun y vient au complet, avec ses effets, ses bottes sales, et en cas de pluie, avec beaucoup de boue ; on se déchausse en commun, on met ses pantouffles, on ôte son vêtement de dessus, et on le suspend autour du poêle pour le faire sécher. Si vous avez faim, il vous faut prendre patience ; le dîner n’est servi que quand tous les voyageurs sont arrivés. L’aubergiste ne se met à ses fourneaux qu’après avoir compté tous ses convives. En attendant, on voit arriver des gens de toutes sortes ; des jeunes, des vieux, des gens de pied, des cavaliers, des négocians, des matelots, des muletiers, des domestiques, des femmes, des gens valides, des malades ; l’un se peigne ; l’autre essuie son front mouillé de sueur ; l’autre nettoie ses guêtres ou ses bottes, autant de langues que de gens ; c’est la confusion de la tour de Babel : mais sitôt que quelque étranger de distinction entre dans la salle, avec le maintien et le costume de son rang, toute cette foule fait silence, et semble n’avoir plus qu’un regard attaché sur ce personnage ; vous diriez un animal curieux nouvellement venu d’Afrique[1].

  1. Colloques. Diversoria, passim.