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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/291

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ÉRASME.

rive à Gand, non sans de vives douleurs, mais évidemment sauvé de pire par saint Paul, auquel il s’empresse de rendre grâce à son arrivée à Gand, en même temps qu’il envoie chercher le médecin et le pharmacien.

Tous les goûts d’Érasme sont en contradiction avec les habitudes et les convenances de la civilisation de son temps. Par exemple, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, se chauffent au moyen de poêles ; or, l’odeur du poêle donne des vertiges à Érasme. La religion prescrit le jeûne ; Érasme non-seulement ne peut pas jeûner, mais s’il retarde son repas de quelques minutes, il a des défaillances. Le temps du carême, en défendant la viande, oblige les fidèles à se nourrir de poisson ; Érasme n’en peut pas manger impunément. Un certain jour, les magistrats d’une ville d’Allemagne lui offrent un dîner d’honneur : tous les poissons du Rhin abondent sur la table ; Érasme n’en goûte d’aucun, mais les avoir vus et sentis suffit pour lui donner une maladie ; en sortant de table, il se met au lit. Un de ses amis, qui sait ses dégoûts, lui donne en cachette, au lieu de poisson, du poulet ; cet ami est accusé par tous les dévots, et peu s’en faut qu’on ne le recherche pour ce crime.

La guerre, la peste, les théologiens, les exigences de la réputation, et peut-être aussi le goût de la locomotion, quoiqu’il s’en défende, le font souvent voyager, surtout en Allemagne, qui est son centre. Vous connaissez l’homme ; il lui faut en voyage quelque train, de l’aisance, des délicatesses, des soins particuliers ; qu’il ait une chambre sans poêle, une table sans poisson, une pièce à part pour se reposer, et peut-être pour dérober ses infirmités précoces à la publicité d’une chambrée commune. Voyez ce que lui offre en ce genre l’Allemagne, bien inférieure à notre France, où, dès ce temps-là, les auberges avaient pour chaque voyageur une chambre séparée, où il pût se déshabiller, se nettoyer, se chauffer, et un lit où dormir. Représentez-vous Érasme et son domestique, tous deux voyageant à cheval, sur un des grands chemins de l’Allemagne rhénane. Ils arrivent, à la tombée du jour, dans une petite ville ; Érasme se fait indiquer l’auberge la plus fréquentée : on lui en montre une, à l’enseigne de saint François, saint à grande barbe, encapuchonné et