Non, je n’ai pas filé ; je ne file point ; je ne suis point une fileuse. Ah ! Barberine ! vous me le paierez.
Seigneur, quand vous aurez filé, vous avertirez le soldat qui monte la garde à votre porte.
Ne vous en allez pas, comtesse ; au nom du ciel ! écoutez-moi.
Filez, filez.
Non, par la mort ! non, par le sang ! je briserai cette quenouille. Non, je mourrai plutôt.
Adieu, seigneur.
Encore un mot ! ne partez pas.
Que voulez-vous ?
Mais, — mais, — comtesse, — en vérité, — je suis, je — je ne sais pas filer. Comment voulez-vous que je file ?
Apprenez.
Non, jamais je ne filerai ; quand le ciel devrait m’écraser ! Quelle cruauté raffinée, voyez donc cette Barberine ! elle était en déshabillé ; elle va se mettre au lit ; à peine vêtue, en cornette, et plus jolie cent fois… Ah ! la nuit vient ; dans une heure d’ici, il ne fera plus clair.
Ainsi, c’est décidé ; il n’en faut pas douter. Non-seulement je suis en prison, mais on veut m’avilir par le dernier des métiers. Si je ne file, ma mort est certaine. Ah ! la faim me talonne cruellement ; voilà dix heures que je n’ai mangé ; pas une miette de pain depuis ce matin à déjeuner. Misérable Uladislas ! puisses-tu mourir de faim pour tes conseils ! Où diantre suis-je venu me fourrer ? que me suis-je mis dans la tête ? J’avais bien affaire de ce comte Ulric et de sa bégueule de comtesse ! Le beau voyage que je fais ! J’avais de l’argent, des chevaux, tout était pour le mieux ; je me serais diverti à la cour ; peste soit de l’entreprise ! J’aurai perdu mon patrimoine, et j’aurai appris à filer.