Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/380

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
372
REVUE DES DEUX MONDES.

pied de chaque victoire comme de chaque malheur public pour arriver à ses fins, et que la fin de tout ministère, ce doit être une augmentation de pouvoir et de force. C’est là ce qui se dit tout bas dans le cabinet doctrinaire, et la proclamation le dit presque tout haut dans cette phrase qui, dès le lendemain de la terrible journée du 28, avait déjà mêlé de vives inquiétudes à la douleur publique : « Mon gouvernement connaît ses devoirs, il les remplira. »

Cette phrase, répétée hier d’un ton significatif par M. de Broglie à quelques membres de la chambre des pairs, qui demandaient des mesures acerbes, a déjà eu pour résultat l’arrestation de M. Carrel et de quelques journalistes. Ceci peut être regardé comme le prélude des lois qu’on prépare contre la presse et sur le jury. On peut d’avance juger de la nature et de l’esprit de ces lois en songeant que dans le conseil des ministres, où l’arrestation de M. Carrel a été décidée, il se trouvait au moins trois membres qui connaissaient bien toute l’horreur qu’inspirent à M. Carrel des crimes pareils à celui qui a été commis, et qui ont eu trop de preuves personnelles de la noblesse de son caractère, pour le soupçonner un instant d’avoir pu prendre part à de tels méfaits. Oh ! M. Thiers, qu’avez-vous donc fait de vos souvenirs ? et vous, M. Guizot, qui donc a ainsi obscurci la droiture de votre intelligence ?

Ces premières mesures si inopinées, si étranges, si peu conformes à ce que dictait l’esprit de justice en pareil cas, les paroles menaçantes qu’on murmure contre la presse, la haine connue de M. Thiers pour ce berceau de sa renommée et de sa fortune, toutes ces choses nous semblent être les signes précurseurs de quelques lois d’exception. Nous ne pensons pas qu’il soit question, comme l’ont dit quelques journaux, de faire déférer au roi une dictature temporaire ; le ministère gagnerait peu en autorité, les ambitions qui y dominent perdraient au contraire en influence, et il est probable que ces bruits ont été répandus à dessein, pour faire admirer la modération du pouvoir qui se bornera à demander quelques lois restrictives aux députés qu’on vient de rappeler.

La situation présente est à nos yeux un terrible écueil pour le ministère, et surtout pour M. Guizot. M. Guizot cherche en vain à le dissimuler aux yeux du monde, et surtout à ne pas le faire sentir à ses collègues, il est bien évidemment, depuis quelques mois, le chef du mouvement politique et la tête du cabinet. La déférence de M. de Broglie pour l’esprit de M. Guizot est assez notoire, et c’est à la fois à un sentiment d’amitié et de respect qu’il obéit en lui cédant tous les droits de la présidence et sa suprématie. Par une fatalité que nous ne nous chargeons pas d’expliquer, et dont nous ne voudrions pas nous prévaloir contre M. Guizot, son passage dans diffé-