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REVUE. — CHRONIQUE.

rens ministères et à diverses époques a été marqué par des lois d’exception. Déjà en 1814, quand le premier projet de loi contre la presse partit des bureaux de l’abbé de Montesquiou, M. Guizot avait la confiance de ce ministre. L’administration publique était dans ses mains, et la supériorité de son esprit dominait déjà tellement autour de lui, qu’il fut généralement désigné comme l’auteur de la loi de censure. Il faut bien le dire, M. Guizot lui donna du moins publiquement sa sanction, en s’inscrivant lui-même sur la liste des censeurs, entre M. Ch. Lacretelle et M. Frayssinous. En 1817, une loi de suspension de la liberté individuelle fut présentée par le ministre de la justice, M. Barbé-Marbois, et M. Guizot était alors secrétaire-général du ministère de la justice. Sous M. Decazes, pareille chose arriva encore à M. Guizot. Mais M. Guizot est un de ces hommes, nous nous plaisons à le croire, qui retirent un enseignement même de leurs erreurs et de leurs fautes, et il ne peut avoir méconnu le caractère du dernier évènement qui, sous la restauration, le précipita du pouvoir, où il n’est remonté que par une révolution. Il a entendu, en ce temps-là, M. Decazes lui redire avec douleur les paroles que venait d’adresser Louis xviii à son ministre favori, après l’attentat de Louvel, et que M. Decazes n’a certainement pas oubliées : « Mon enfant, les ultras nous préparent une guerre terrible ; ils vont exploiter ma douleur. » M. Decazes eut alors la faiblesse de consentir à une loi de censure et à une loi suspensive de la liberté individuelle.

Qu’advint-il ? M. Decazes ne fut que plus facilement renversé, et sa vie ministérielle finit là. Avec lui tomba M. Guizot, et dix ans durant, cet esprit tout gouvernemental, tout constituant, fut contraint de se jeter dans les rangs d’une opposition brûlante, et de travailler au renversement de la société qui repoussait le concours de son intelligence. Si M. Guizot nous répondait que ce fut un malheur qui lui arriva, et que ce malheur ne doit pas influer aujourd’hui sur ses principes, nous lui demanderions où sont les heureux de ce temps-là, où sont ceux qui exploitèrent l’événement du 15 février 1820 ? On a dit que Louvel avait manqué son coup, que son projet parricide avait été déjoué par la naissance miraculeuse du duc de Bordeaux. Non, Louvel n’a pas manqué son coup, on se trompe. Le couteau de Louvel a mortellement frappé toute la race des Bourbons, sa lame a atteint jusqu’au dernier rejeton de cette famille qu’une mortelle consomption dévore dans un pays d’exil. C’est Louvel qui a causé la chute de Charles x, car c’est du crime de Louvel que date cette franche réaction contre-révolutionnaire, cette guerre prononcée contre la Charte, cette suite de violations et de lois exceptionnelles, ces envahissemens de pouvoir qui ont été couronnés par les ordonnances du 26 juillet,